Déc 01 2014

PLF 2015 – Action extérieure de l’Etat

De retour de Dakar dans la nuit avec une grosse extinction de voix (les méfaits de la climatisation de l’Airbus présidentiel) j’avais espéré que les médicaments que j’avais ingurgités à haute dose les heures précédentes me permettraient d’intervenir comme prévu à la tribune du Sénat sur le budget Affaires extérieures. Hélas, il n’en fut rien et il m’a fallu m’interrompre après quelques phrases. Je tiens à remercier la présidente de la séance, la sénatrice Jacqueline Gourault qui a accepté qu’un collègue lise mon texte à mes côtés (j’avais un certain nombre de corrections manuscrites et mon écriture est illisible) et surtout Jacques Legendre, Sénateur UMP du Nord lui aussi de retour de Dakar où nous étions les deux seuls sénateurs de la délégation officielle, qui a accepté de lire mon texte. Une partie du moins puisque, du fait des retards occasionnés par l’interruption de mon intervention, il était impossible de lire l’intégralité de mon texte dans les 7 minutes  imparties à mon intervention.

Vous en trouverez donc le texte intégral ci-dessous :

Madame la Présidente,
Madame la Ministre,
Mes chers collègues,

Assurer un service public de proximité et de qualité a toujours constitué un défi considérable à l’étranger. La réforme de l’Assemblée des Français de l’étranger, l’AFE, a d’ailleurs été menée au prétexte d’améliorer le maillage territorial de nos communautés à l’étranger. Résultat : un nombre accru d’élus de terrain, mais une baisse de 20 % du budget affecté à cette instance. Les nouveaux élus auront-ils réellement les moyens d’assumer leur mandat sur l’ensemble de leur circonscription ?

Bien sûr, nous sommes favorables aux économies. Mais nous souhaiterions que ces dernières proviennent de réformes structurelles plutôt que de coupes ponctuelles sans effets durables, voire potentiellement nuisibles.

Au sein du réseau diplomatique et consulaire, je note que, malgré la création de 25 postes consacrés au traitement des visas, ce sont 220 équivalents temps plein travaillé qui vont être supprimés par rapport à 2014.

Certes, la dématérialisation et la simplification des procédures allègent les besoins en emplois. Par ailleurs, il est naturel que le ministère des affaires étrangères contribue aux efforts de la Nation. Mais soyons clairs : le rétrécissement des équipes implique une réduction des missions, ce qui se fera au détriment soit des Français présents sur place, soit de notre politique d’influence. Nous devons donc rester vigilants quant aux conséquences de ces suppressions d’emplois sur la qualité du service public rendu à l’étranger.

Je m’interroge notamment sur le rythme de passage de certaines ambassades au format « très allégé », c’est-à-dire ne comptant plus que quatre agents au maximum, ambassadeur inclus. Le nombre des ambassades concernées devrait doubler en 2015, alors même que la première vague du dispositif n’a pas produit tous ses effets et qu’aucun bilan n’a pu être dressé.

De même, je m’inquiète de la poursuite des fermetures de consulats, notamment à Porto et à Édimbourg. Pour ce dernier poste, l’annonce est d’autant plus surprenante que, à la suite du référendum sur l’indépendance, l’Écosse jouit d’une autonomie renforcée légitimant le maintien d’un véritable dispositif diplomatique.

Au reste, il y a une certaine légèreté à prétendre que, pour les 1 300 Français d’Écosse, les services consulaires, déjà passablement engorgés, suffiront au renouvellement des passeports. J’ajoute que Londres et Édimbourg sont séparés, au bas mot, par une distance de 600 kilomètres.

N’oublions pas que les services consulaires sont souvent le seul point de contact pour les expatriés et qu’il faut préserver ce lien.

Dès lors, quels pourraient être nos leviers pour conserver, malgré les contraintes budgétaires, la qualité et le maillage d’un réseau diplomatique et consulaire unique au monde ?

Je remarque que l’un des seuls services qui embauche en 2015 est celui, lucratif, des visas. Les bénéfices engrangés grâce à cette activité ne pourraient-ils pas contribuer à financer une part plus importante des services publics aux Français de l’étranger, inscrits dans le même programme budgétaire, au lieu d’être reversés au budget général ? Le gain net de cette activité est de l’ordre de 60 millions d’euros à l’échelle mondiale, soit 30 % des crédits du programme 151 !

Autre marge de manœuvre que l’on peut faire jouer dans les postes en danger : aux licenciements en nombre d’agents consulaires préférer le remplacement du chef de poste par un chargé d’affaire, source de sensibles économies budgétaires.

En outre, je m’étonne qu’au sein de l’enveloppe “frais de tournées et de représentation consulaire” 75 % des crédits soient destinés aux frais de représentation et 25 % aux tournées consulaires, ne laissant qu’un budget très insuffisant pour le service de proximité aux Français établis loin des consulats : recueil des procurations de vote, demande et remise des passeports, exercice de la protection consulaire.

On a beaucoup parlé du lancement des valises ITINERA destinées au recueil des données biométriques hors des consulats. Encore faut-il pouvoir financer les déplacements de cet outil et mieux soutenir les consuls honoraires, dont le rôle ne cesse de croître, alors qu’ils ne bénéficient que d’un appui limité.

Le dernier point que je souhaite évoquer au sujet du service public aux Français de l’étranger est la suppression de la Maison des Français de l’étranger, la MFE. Le ministère évoque pudiquement sa dématérialisation. Le terme serait justifié si, malgré la fermeture de l’accueil physique, une interaction avec les usagers continuait d’être assurée par téléphone, ou au moins par courriel. Mais la MFE virtuelle semble être réduite à la mise à jour de pages web, pour un montant néanmoins non négligeable de 100 000 euros.

Le deuxième enjeu essentiel est la sécurité. Les crises géopolitiques se sont multipliées ces derniers mois, notamment au Moyen-Orient et en Afrique. Des sommes importantes ont été investies dans la sécurisation des ambassades. Mais qu’en est-il de la sécurité de nos communautés ?

Après une vague d’actualisation des plans de sécurité des ambassades, le sous-indicateur relatif à cette mesure a été supprimé des documents budgétaires, au prétexte que 100 % des plans auraient déjà été actualisés. L’argument vaut peut-être pour cette année. Il importe toutefois de garantir le financement d’actualisations régulières. J’espère donc que l’indicateur sera réintégré dès l’année prochaine. À défaut, nous risquons de retrouver rapidement des plans de sécurité obsolètes.

Un exemple illustre cette nécessité de procéder à des actualisations : l’évolution de l’indicateur “pourcentage de relecture des fiches dites de conseils aux voyageurs” ; alors que ce pourcentage atteignait 99 % en 2012, il est tombé à 80 %, et aucune amélioration n’est prévue en 2015. Ces fiches sont pourtant essentielles pour prévenir les comportements à risque. À l’heure où les réseaux sociaux facilitent une diffusion en temps réel des informations, il est essentiel de consacrer des ressources suffisantes à cette mission.

Je note en outre une baisse de 3,6 % des crédits relatifs à la coopération de sécurité et de défense. Un poste de coopérant militaire sur six sera supprimé.

Rapporteur général à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, travaillant notamment sur la question du terrorisme, je sais à quel point cette coopération est essentielle pour prévenir les enlèvements, les prises d’otages et les actes de terrorisme, à l’étranger comme sur notre propre sol. Nous devons veiller à maintenir un financement suffisant des coopérations bilatérales en matière de sécurité. Sans doute faudrait-il également encourager et accompagner davantage le déploiement d’un réseau de réservistes citoyens français à l’étranger.

Rentrant tout juste du sommet de la francophonie de Dakar, j’évoquerai, en conclusion, notre diplomatie culturelle et les liens étroits qui l’unissent à la francophonie.

Comme le souligne Jacques Attali, “il est urgent de prendre conscience de la dimension économique de cet atout linguistique”. Cela passe notamment par une meilleure diffusion de l’enseignement français à l’étranger. Le réseau des écoles françaises à l’étranger, piloté par l’AEFE est, à cet égard, un dispositif d’excellence à préserver. Le coup de rabot de 2% pratiqué sur son budget public la contraint, comme les autres opérateurs du ministère, à un autofinancement accru. Espérons que des solutions créatives permettront d’éviter une hausse incontrôlée des frais de scolarité, qui mettrait en difficulté de nombreuses familles.

Dans la mesure où les trois quarts des enfants français à l’étranger n’ont pas accès à ces écoles, il importe de développer d’autres dispositifs d’apprentissage en français : c’est essentiel pour renforcer notre influence auprès des élites étrangères. Le rapport Attali résume un certain nombre de pistes envisagées ces dernières années afin de soutenir des initiatives privées sans alourdir le fardeau budgétaire pour les finances françaises. Je pense notamment à un meilleur appui aux écoles gérées par la Mission laïque française et aux programmes FLAM ou au développement de programmes d’apprentissage via des partenariats entre le CNED et des écoles locales.

Je note que malgré une diminution de 9,3% de l’enveloppe globale allouée à la coopération culturelle et à la promotion du français, les crédits d’intervention au sein de cette action augment de 7,7%. Cela permettra notamment de financer davantage de bourses de formation au Français Langue Etrangère, de programmes d’enseignement du français dit « de spécialité » (c’est-à-dire orienté vers les professionnels), d’échanges d’expertises et d’actions dans le domaine culturel et audiovisuel. Seront privilégiés les établissements à autonomie financière, ou les structures de droit local comme les alliances françaises, qui atteignent désormais un taux d’autofinancement exemplaire de 96%, hors personnel expatrié. Attention toutefois : cette augmentation des crédits d’intervention est permise par une diminution de 23,2% des crédits de fonctionnement. La frontière est ténue entre économies légitimes et étranglement de structures formant charpente de notre réseau de coopération culturelle.

Monsieur le Ministre, ce budget n’est bien sur pas celui dont nous rêvions. Nous sommes conscients des difficultés financières que nous devons affronter. Pour se faire il importe de faire des économies là où notre réseau diplomatique sera le moins impacté notamment pour les français de l’étranger. C’est dans cette optique que le groupe se félicite des amendements de notre collègue Doligé. Et sous réserve de leur adoption, notre groupe soutiendra ce budget.