Plus d’un million de personnes – principalement des Juifs, Roms, Slaves, prisonniers politiques et homosexuels – ont été déportées et assassinées dans les camps d’Auschwitz. Un chiffre qui dépasse l’entendement. Auschwitz est devenu le symbole de l’ignominie nazie et une mise en garde éternelle contre ses ressorts : le racisme, l’antisémitisme, l’intolérance. Son existence doit aussi nous renforcer dans notre détermination à bâtir une Europe de la paix, où plus aucun génocide ne serait possible
Profondément touchée par cette tragédie et soucieuse que les camps continuent, de génération en génération, à remplir leur fonction mémorielle, j’avais, dès 2000 -alors que je n’étais pas encore sénatrice- participé au comité de soutien et aux démarches visant à ériger une dalle commémorative en judéo-espagnol au mémorial d’Auschwitz-Birkenau, où existaient déjà 23 dalles dans les langues des victimes mais où cette langue avait été oubliée. Elle était pourtant si importante, cette langue des juifs sépharades expulsés d’Espagne et recueillis dans les Balkans, ou encore de cette communauté juive de Salonique qui comptait déjà 120 000 membres au 19ème, décimée pendant la seconde guerre mondiale, 95% de ses membres étant morts à Auschwitz. Beaucoup de ces juifs sépharades s’étaient en outre installés en France après la première guerre mondiale et l’inaugration de la plaque à Auschwitz le 24 mars 2003 a été l’occasion de leur rendre hommage lors d’une belle et émouvante cérémonie à Auschwitz à laquelle je me suis rendue en compagnie notamment de Simone Veil, de Serge et Beate Klarsfeld et des deux chevilles ouvrières du projet, le Professeur Haïm-Vidal Sephiha, survivant de Birkenau et titulaire de la première chaire contemporaine de judeo-espagnol à la Sorbonne et son complice, mon ancien collègue à la London Business School Michel Azaria. Un livre bilingue a d’ailleurs été publié à cette occasion « Les judéo-espagnols, les chemins d’une communauté »
Les commémorations du 70e anniversaire de la libération d’Auschwitz interviennent à un moment crucial de notre Histoire, où les haines religieuses -ou s’arc-boutant sur des justifications pseudo-religieuses-, qui hélas n’avaient jamais cessé dans certaines zones du globe, refont violemment surface jusque dans notre propre espace public.
Autre terrible élément de contexte, dont je ne comprends pas qu’il ne suscite pas davantage d’alertes : la situation économique de l’Europe et, singulièrement, de la France, fait écho à la crise qui avait, dans les années 30, permis à Hitler d’arriver au pouvoir porté par les urnes. Les chiffres du chômage français viennent de tomber : près de 200 000 chômeurs supplémentaires en un an ! Rien ne sert de promettre des sanctions plus sévères à ceux qui prononceraient des propos racistes ou antisémites si, en parallèle, on ne s’attaque pas plus sérieusement à ce fléau qui, avec la fraude, ronge notre société.
Faut-il rappeler que le FN est arrivé en tête des dernières élections européennes, et que désormais un eurodéputé français sur trois s’en revendique ? Qu’Aube Dorée, parti d’inspiration néonazie dont le chef est ouvertement négationniste, vient d’arracher la troisième place aux législatives grecques ? Que des manifestations racistes ont encore eu lieu en Allemagne ces dernières semaines, à l’instigation du mouvement islamophobe Pegida ?
Nous sommes dans un moment de grandes tensions géopolitiques, dont l’Histoire du XXe siècle est là pour nous rappeler qu’à force de se rapprocher du bord du gouffre on peut finir par y tomber. Sans vouloir jouer les Cassandre, j’estime qu’il y a urgence à ce que la communauté internationale s’unisse face aux périls obscurantistes aujourd’hui incarnés par Daesh, tout comme l’Union soviétique et le bloc occidental ont, dans les années 40, fait front commun contre le nazisme en dépit de leurs profondes divergences. Je regrette donc vivement que la diplomatie européenne ne parvienne pas à établir un dialogue exigeant mais constructif avec la Russie, et s’évertue à manier le bâton de manière aussi stérile. Dans ce contexte, il était particulièrement inopportun d’ajouter aux sanctions économiques l’humiliation symbolique de « l’oubli » de l’invitation du chef d’Etat russe aux commémorations d’Auschwitz, alors même que c’est l’armée soviétique qui avait libéré ce camp…
L’urgence géopolitique, sociale et économique est là. N’affadissons pas le message d’Auschwitz.