Ma tribune publiée par le Huffington Post :
Après Florence Cassez, Serge Atlaoui… et une issue probablement bien plus tragique. Périodiquement, un cas emblématique attire l’attention sur une situation qui concerne plus de 2 200 de nos compatriotes de par le monde. Une demi-douzaine de Français encourent la peine de mort, tandis que des centaines sont emprisonnés dans des conditions dramatiques, loin des lumières médiatiques. Au XXIe siècle, Midnight Express n’est toujours pas relégué au rang de fiction.
Avec un nombre croissant de touristes internationaux et d’expatriés, la France est confrontée de manière de plus en plus aiguë au problème de la protection de ses ressortissants détenus à l’étranger. La justice est indépendante et constitue une prérogative souveraine des États : il est donc hors de question que notre diplomatie s’immisce dans des affaires judiciaires en cours, a fortiori à l’étranger. Néanmoins la Convention de Vienne de 1963 sur les relations consulaires pose les contours d’une protection consulaire, au titre de laquelle chaque État a la responsabilité de prêter secours et assistance à ses ressortissants lorsqu’ils sont convoqués devant un tribunal étranger ou incarcérés. De l’affirmation de ce principe à son application, il peut y avoir un monde. Au nom de l’intérêt des relations bilatérales ou par manque de moyens humains et financiers, il n’est pas rare que les ambassades et consulats délaissent quelque peu certains justiciables ou prisonniers.
Une interprétation minimaliste de la protection consulaire rend celle-ci purement théorique. Certains États comme les États-Unis ont, eux, une approche plus offensive de la défense de leurs compatriotes. Tout est donc affaire de priorité politique. C’est d’autant plus essentiel qu’un principe cardinal censé régir les relations internationales est la réciprocité.
La protection consulaire, c’est d’abord identifier les Français incarcérés. Le Quai d’Orsay ignorerait les motifs de la condamnation de plus de 20% des détenus français à l’étranger. Et nombre de condamnés français – notamment parmi les binationaux – ne sont pas connus des consulats.
La protection consulaire, c’est ensuite veiller à ce que nos compatriotes bénéficient d’un procès équitable. A Saint-Domingue, la longue incarcération puis les incessants reports du procès des Français mis en cause dans l’affaire dite « Air Cocaïne » illustrent la violation de ces droits fondamentaux. Veiller au respect des droits de la défense peut aussi passer par l’envoi d’agents du consulat à l’audience, en qualité d’observateurs. Dans des affaires sensibles, notamment lors de la fixation de l’autorité parentale suite au divorce de couples mixtes – surtout lorsque la législation familiale locale diffère sensiblement de la nôtre – cela peut avoir une influence déterminante pour la sauvegarde de l’intérêt supérieur de l’enfant. L’Italie, la Suisse ou le Brésil se montrent à cet égard beaucoup plus présents que la diplomatie française.
Le principal obstacle à l’accès au droit à l’étranger est souvent d’ordre financier. De nombreux États n’ont pas de dispositif d’aide juridictionnelle alors que les frais d’avocat y sont prohibitifs. L’aide juridictionnelle française est, elle, limitée aux audiences devant une juridiction française. Trop de justiciables, ruinés par des années de procédures, finissent par abandonner leurs démarches, avec des conséquences graves tant sur le plan humain que pour la formation de la jurisprudence. Ainsi, la saisine de la Cour Européenne des Droits de l’Homme étant conditionnée par l’épuisement des voies de recours internes, peu de justiciables parviennent à l’atteindre. Ceci est particulièrement dramatique pour des accusés encourant la peine de mort ou lorsque la capacité d’enfants à maintenir un lien avec leurs deux parents est en jeu. Dans ces deux cas, il semblerait utile d’instaurer un mécanisme d’aide à l’accès au droit à l’étranger, que ce soit par une aide directe au financement d’avocats agréés par l’ambassade ou par des subventions à des ONG ou des associations d’aide juridique à l’étranger. La création d’un service public de traduction des dossiers judiciaires pourrait aussi considérablement alléger les charges pesant sur les justiciables.
Souvent, les avocats sont concentrés dans les capitales ou les très grandes villes et un Français arrêté en province rencontrera énormément de difficultés à joindre un défenseur. Là encore, il y a urgence à recenser les avocats francophones afin que le consulat puisse efficacement orienter les justiciables. Il serait également précieux que les pouvoirs publics soutiennent la constitution de réseaux d’associations d’aide juridique en faveur des expatriés.
En cas d’incarcération, la protection consulaire implique une vérification par l’ambassade que les conditions de détention répondent à des normes minimales. Trop souvent, le silence prévaut. C’est ce qu’a notamment dénoncé un collectif de détenus français au Maroc. En 2013, la Cour de Cassation a autorisé une juge française à se saisir du dossier de Lydienne Yen-Eyoum, une avocate franco-camerounaise incarcérée depuis trois ans en «détention provisoire» dans des conditions inhumaines au Cameroun. Ce jugement montre bien la France n’a pas, au nom d’un prétendu respect des juridictions étrangères, à se désintéresser du sort de ses ressortissants emprisonnés lorsque leurs droits fondamentaux sont violés. L’implication des consulats pour vérifier les conditions de détention et, le cas échéant, alerter les autorités locales, relève moins du droit international que du volontarisme de chaque poste. Il est donc essentiel que le Quai d’Orsay diffuse des consignes claires et fortes en ce sens.
De même en ce qui concerne les demandes de transfèrement, qui permettent aux détenus, à la suite d’une condamnation définitive à l’étranger, de finir d’exécuter leur peine en France : certains États disposent de procédures bien plus efficaces et rapides que d’autres. Volontarisme politique et poids diplomatique y sont pour beaucoup.
Les consulats pourraient aussi jouer un rôle beaucoup plus fort en matière de prévention. Certains faits, qui ne constituent pas une infraction en France, sont passibles d’arrestation à l’étranger. L’été dernier, une Française a ainsi été arrêtée en Géorgie en raison de la présence de Dafalgan codéiné dans ses bagages – médicament largement prescrit en France mais interdit dans ce pays. Les pages de Conseils aux Voyageurs du site internet du Quai d’Orsay offrent des éléments d’information. Mais il faudrait rendre ceux-ci beaucoup plus visibles, tant sur les réseaux sociaux que dans les consulats.
Enfin, les dossiers les plus délicats sont ceux dans lesquels une dimension politique s’entremêle aux éléments judiciaires – souvent sur fond de corruption. Cela a clairement été le cas dans l’affaire Florence Cassez au Mexique. Cela pourrait également l’être dans l’affaire Michel Thierry Atangana au Cameroun, ou encore dans l’affaire Air Cocaïne en République dominicaine. La collusion entre le milieu des affaires et la justice transforme parfois des litiges commerciaux en imbroglios judiciaires, comme dans les cas de chantage au visa de sortie au Qatar. Une implication précoce, discrète mais insistante, de la diplomatie française, est alors indispensable pour éviter une dégradation brutale des relations bilatérales suite à la médiatisation de ces affaires.
Les Français ont la chance de bénéficier de l’un des plus denses réseaux diplomatiques au monde. La défense de nos ressortissants accusés ou détenus et celle de principes fondamentaux tels que le droit à un procès équitable ou la lutte contre la peine de mort devraient être une priorité de notre diplomatie.