Juin 09 2015

Entraide judiciaire avec le Maroc

marocQuestion écrite n° 16804 adressée à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international (JO du 11/06/2015) :

Mme Joëlle Garriaud-Maylam attire l’attention de M. le ministre des affaires étrangères et du développement international sur le contenu du protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale avec le Maroc, prochainement examiné par le Parlement et pour lequel le Gouvernement a engagé la procédure accélérée.

Suite à plusieurs mois de tensions franco-marocaines engendrées par des plaintes de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture, un protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale a été négocié avec le Maroc, afin de relancer la coopération judiciaire avec ce pays. Ce texte, dont plusieurs dispositions sont inédites en matière d’entraide judiciaire, pourrait porter atteinte à la possibilité d’assigner en justice en France des personnes soupçonnées de crimes graves se trouvant sur son territoire, mais aussi mettre en péril les droits à un procès équitable de Français victimes ou accusés de crimes commis au Maroc.

Nombre d’observateurs s’inquiètent de l’obligation d’information instaurée par ce texte, chaque pays devant immédiatement notifier à l’autre toute procédure pénale ouverte sur son territoire qui pourrait engager la responsabilité d’un ressortissant de l’autre pays. Cette disposition contredit le principe du secret de l’enquête et de l’instruction tel que posé par l’article 11 du code de procédure pénale, indispensable pour mettre les juges à l’abri d’éventuelles pressions. Elle pourrait être particulièrement grave s’agissant d’éventuels crimes économiques à l’encontre d’investisseurs français au Maroc, ouvrant la porte à des risques de destructions de preuves ou d’intimidation de témoins.

En tant que représentante des Français de l’étranger, elle s’inquiète des risques afférents à l’instauration d’une obligation de renvoi prioritaire, permettant au pays sur le territoire duquel les faits ont été commis de pouvoir en priorité traiter ou clore une affaire, qu’il s’agisse d’une affaire pénale grave ou de petite délinquance. À ce titre, les autorités marocaines pourraient ainsi empêcher un juge français d’enquêter sur un délit commis au Maroc à l’encontre d’une victime française.

Bien consciente de l’importance de relancer la relation franco-marocaine, elle souligne que cela ne doit pas se faire au prix de la sécurité juridique de nos ressortissants et demande quelles garanties ont été obtenues par le Gouvernement français pour sécuriser l’accès à la justice des Français établis au Maroc ou susceptibles d’être en relation avec la justice marocaine.

Réponse de M. le ministre des affaires étrangères et du développement international publiée le 15/10/2015, page 2427 :

Le protocole additionnel ne porte en aucune manière atteinte à la compétence des juridictions : l’article 23 bis n’est pas une clause de compétence. Il vise avant tout à favoriser l’échange d’informations entre les Parties, notamment dans le cas de procédures portant sur des faits commis sur le territoire de l’autre Partie et susceptibles d’impliquer des ressortissants de cette dernière. Cet instrument tend à favoriser une coopération durable et efficace entre la France et le Maroc, dans le respect du droit interne de chaque Partie et de leurs engagements internationaux. Les Parties ont en effet entendu inscrire strictement le dispositif d’information et d’échanges créé par l’article 23 bis à la fois dans le cadre des obligations internationales incombant à chacune des Parties au titre des conventions internationales auxquelles elles sont parties. Ces dernières n’ont aucunement entendu modifier de quelque manière que ce soit la portée des engagements internationaux ainsi souscrits.

Concrètement, la France a veillé à ce que le dispositif créé à l’article 23 bis s’applique dans le respect de ses engagements par exemple au titre de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés (convention internationale signée par la France mais pas par le Maroc) et de la convention des Nations unies contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains et dégradants adoptée à New York le 10 décembre 1984 (convention signée par la France et par le Maroc).

Ce dispositif, qui entrera prochainement en vigueur, ne prévoit aucunement un dessaisissement du juge français au profit du juge marocain ou du juge marocain au profit du juge français. Le juge initialement saisi recueille des observations et informations auprès du juge de l’autre partie et, au vu des éléments éventuellement transmis, détermine les suites à donner à la procédure.

En outre, ce protocole ne remet pas en cause le droit à un recours effectif en France des victimes de crimes et délits commis au Maroc. Ce type de convention comporte systématiquement un article stipulant que les demandes d’entraide s’exécutent conformément à la loi de l’État requis (cf. en l’occurrence, l’article 7 de la convention bilatérale d’entraide du 18 avril 2008).