Jan 06 2016

Déchéance de nationalité pour les binationaux : opération enfumage…

binationaliteLa tournure manichéenne et émotionnelle que prend le débat sur la déchéance de nationalité me choque énormément. Pour le Président de la République, inscrire la déchéance de nationalité dans la Constitution serait la réponse prioritaire à apporter contre le djihadisme ? Pour nombre d’élus, en particulier de gauche, être en faveur de la déchéance de nationalité pour des personnes condamnées pour terrorisme serait une attaque contre tous les binationaux et contre l’égalité des citoyens ?

Ayant rédigé plusieurs rapports sur la lutte contre le terrorisme pour l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, je suis bien consciente que la déchéance de nationalité n’est qu’un outil parmi de nombreux autres en matière de lutte contre le terrorisme, et certainement pas le plus efficace. L’urgence est ailleurs, notamment au renforcement de nos services de renseignement et à la déradicalisation. Par ailleurs, la loi permet déjà des possibilités de déchéance de nationalité : c’est donc le Code civil qu’il faudrait envisager de modifier, et certainement pas notre Constitution. La polarisation du débat sur une réforme constitutionnelle centrée sur la déchéance de nationalité me semble relever de la seule communication politicienne, voire de la manipulation des opinions.

Cela étant, toute mesure susceptible d’éviter des attentats doit être examinée de manière pragmatique et précise. Si déchoir de leur nationalité des individus « définitivement condamnés pour crime contre la vie de la nation » (un type de crime n’existant d’ailleurs pas dans notre droit pénal) semble relever de l’illusion ou, au mieux, du symbole, priver de son passeport français une personne partie combattre dans les rangs de Daech pourrait avoir une certaine efficacité pour l’empêcher de revenir sur notre territoire. C’est d’ailleurs une option qu’envisage sérieusement l’Allemagne.

Par ailleurs, à l’heure où les djihadistes entendent diviser notre Nation, il me semble essentiel de travailler sur tout ce qui favorise la cohésion de notre peuple, et la citoyenneté en est évidemment un vecteur essentiel. Le débat sur les droits et devoirs attachés à notre nationalité et sur les valeurs qui cimentent la France ne doit donc pas être tabou. Sans doute faudrait travailler sur une nouvelle conceptualisation de la nationalité, qui ne devrait plus être autant confondue avec la citoyenneté (droits liés à la résidence). Cela permettrait de contourner les problèmes que l’apatridie serait susceptible de poser tant dans notre droit interne qu’en droit international.

En l’état, et dans la mesure où le projet gouvernemental demeure encore extrêmement flou et où les risques juridiques – notamment au regard de nos engagements internationaux – sont importants, il me semble prématuré de me prononcer. Il ne s’agit pas d’être « pour » ou « contre » la déchéance de nationalité mais de voir dans quels cas et selon quel cadre juridique il serait ou non légitime et efficace d’étendre les possibilités déjà offertes par la loi.