Ma tribune publiée par le Huffington Post :
Qu’elles y soient favorables ou non, bon nombre des réactions suscitées par la réforme de l’orthographe amalgament à la fois des considérations techniques, procédurales et politiques. Je souhaite pour ma part relever un paradoxe extrêmement significatif entre les enjeux et les moyens affichés par le gouvernement
Les promoteurs de la réforme mettent en exergue l’honorabilité de leurs objectifs que l’on peut synthétiser en deux points. D’une part, ils souhaitent moderniser la langue française afin que celle-ci demeure vivante, c’est à dire adaptée à notre temps. D’autre part, ils agitent le drapeau de l’égalité, alléguant que cette réforme atténuera d’inacceptables et persistantes discriminations sociales basées sur l’orthographe.
Or, ces mêmes défenseurs s’attachent à minimiser l’ampleur de la réforme orthographique. Ainsi ce n’est pas une réforme mais une « rectification », elle n’est pas nouvelle puisque son adoption date de 1990, les simplifications ne sont pas obligatoires (reste à définir nonobstant les implications d’ériger des « rectifications » au rang de « référence ») et elles ne sont prodiguées qu’à dose homéopathique. Enfin personne n’assume avec fierté la paternité de cette « petite rectification ». Tandis que le Ministre de l’Education nous renvoie vers l’Académie française, les sages de la rue Cambon s’en dédouanent et désignent le Conseil Supérieur de Langue Française présidé par Monsieur Rocard.
En tant que Sénatrice des français de l’étranger; engagée pour la francophonie, je soutiens l’idée que la langue française mérite de demeurer bien vivante face à l’hégémonie d’un anglais appauvri, le « globish ». Mais je suis convaincue que la force de notre langue réside dans sa complexité, garante d’une pensée riche et libre. Souvenons nous du roman d’Orwell, 1984 où le gouvernement du Big Brother révise chaque année le dictionnaire et appauvrit la langue! Les anomalies orthographiques sont des témoins de notre Histoire, elle nous rappellent ce que nous devons aux autres langues et autres civilisations. L’effacer c’est nier ce que d’autres civilisations passées ou étrangères nous ont apporté ; n’est ce pas refuser d’accepter la différence? De l’harmonisation à l’uniformisation il n’ya qu’un pas…
Cette réforme de l’orthographe apparaît comme une mauvaise réponse à de vrais enjeux. Au lieu de niveler par le bas en simplifiant l’orthographe, il convient plutôt de remettre en question et de réinventer son enseignement. Enfin, à défaut de me livrer ici à l’exercice des jeux de mots très prisés sur les réseaux sociaux et dans les médias, je citerai plutôt cet extrait du livre d’Erik Orsenna, La révolte des accents:
« – Monsieur, les accents, au fond, à quoi servent-ils ?- Ils nous réveillent, Jeanne, ils vont chercher en nous ce que nous avons de plus fort, ils accentuent nos vies. Comme leur nom l’indique, ils accentuent… »