Intervention dans le débat sur le dispositif exceptionnel d’accueil des réfugiés (extrait du compte-rendu intégral de la séance du 1er mars 2016) :
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour beaucoup de Français, la crise des migrants, c’est d’abord la vision insoutenable de la jungle de Calais. Avec les membres de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, je m’y suis rendue voilà quelques semaines.
Jamais, monsieur le ministre, jamais, mes chers collègues, alors que j’ai visité de nombreux camps de réfugiés en Syrie, en Jordanie, en Turquie, en Irak, jamais je n’ai vu de conditions de vie aussi inhumaines, une telle saleté, une telle misère. Cette situation honteuse n’a que trop duré et je salue le démantèlement du bidonville. Attention toutefois à ce que les migrants ne se retrouvent rapidement de nouveau à la rue, à la merci des réseaux de traite des êtres humains, susceptibles de les acculer au travail forcé ou à l’exploitation sexuelle. Il est indispensable d’assurer le suivi de ces personnes, en particulier celui des mineurs isolés. Monsieur le ministre, je serais heureuse que vous nous indiquiez les dispositifs prévus à cette fin.
Pour nos sociétés, la grande question est celle de l’insertion des migrants. Au mois de mai dernier, à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la réforme du droit d’asile, j’ai déposé des amendements visant à faciliter l’accès au travail des demandeurs d’asile durant la période d’examen de leur dossier. Dans ce domaine, la France est très en retard par rapport à la Suède, à l’Allemagne ou aux États-Unis.
L’exclusion du marché du travail pendant de longs mois empêche les migrants de vivre dignement. Elle a aussi un coût élevé pour notre société en favorisant l’économie clandestine. Il faut lever ce tabou. C’est d’autant plus urgent que le nombre de migrants s’accroît à une vitesse sidérante. En France, les migrants se comptent par milliers, en Grèce, par centaines de milliers, en Turquie, en Jordanie ou au Liban, en millions…
Dans certains pays, les réfugiés pèsent désormais pour un quart de la population, ce qui, pour les petits pays, entraîne une fragilisation potentiellement explosive de leurs structures économiques et sociales. Il est indispensable d’aider ces pays pour leur permettre d’accueillir plus de réfugiés, qui, en restant près de chez eux, pourront y retourner plus facilement pour reconstruire leur vie et leur pays. Il faut de nouveaux accords de Bretton Woods. Je sais que l’aide publique au développement ne relève pas de votre compétence, monsieur le ministre, mais il est véritablement indispensable de mieux épauler le Liban et la Jordanie, qui demeurent exclus des financements concessionnels, réservés aux pays les plus pauvres.
M. Jacques Legendre. C’est vrai !
M. Bruno Retailleau. Très bien !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Quant au mécanisme de relocalisation, il commence à peine à fonctionner avec la Grèce. Ce mécanisme ne devrait-il pas être élargi à la Turquie, à la Jordanie ou au Liban, afin de court-circuiter les réseaux de passeurs ? Par ailleurs, où en est-on du mécanisme d’examen des visas pour l’asile dans nos consulats en Irak et en Syrie ? Les délais, me dit-on, se sont beaucoup allongés.
Il est évidemment urgent de démanteler les réseaux de passeurs, d’autant que ceux-ci contribuent au financement du terrorisme. Cela nécessite une politique pénale rigoureuse et une véritable coopération européenne. La coopération entre FRONTEX et l’OTAN en mer Égée est un progrès. L’ayant réclamée depuis le mois d’avril dernier, je m’en réjouis, mais il faut aller plus loin dans la coopération avec les pays les plus concernés.
Au mois d’octobre dernier, l’Union européenne et la Turquie ont signé un plan d’action de lutte contre les passeurs : où en sommes-nous ? Il semblerait aussi que les contrôles d’identité réalisés dans les hotspots en Grèce soient peu fiables, faute notamment de recoupement entre les informations de la police grecque, celles de FRONTEX, d’Europol et celles du système d’information Schengen, ce qui laisse le trafic de faux documents prospérer. Qu’est-il prévu pour améliorer le dispositif ?
La cohésion européenne est aujourd’hui à rude épreuve, alors qu’une véritable coopération s’impose plus que jamais. La libre circulation des biens et des personnes est menacée. C’est pourtant un pilier de la construction européenne, son incarnation la plus tangible pour les citoyens et un enjeu économique énorme.
Sachons discerner les priorités. Ne laissons pas les égoïsmes triompher, alors même que la violence obscurantiste est à nos portes. Notre pays, patrie historique des droits de l’homme, se doit d’être leader en Europe sur cette question. C’est un devoir pour nous tous.
(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Férat applaudit également.)