Mar 31 2016

Pension alimentaire : une garantie et beaucoup de doutes

LeMondeArticle publié par Le Monde le 31 mars 2016 :

Combien de pensions alimentaires ne sont pas versées ? Nul ne sait ! Le taux de 40 % régulièrement cité date de… 1985. Quant aux chiffres plus frais fournis par le ministère de la justice, ils ne donnent qu’une vague idée du phénomène. Dans une enquête de 2014, les parents sont 18 % à mentionner que leur pension est versée irrégulièrement, partiellement, ou encore jamais, mais seules des personnes divorcées depuis deux ans ont été sondées.

Impossible, donc, de mesurer l’ampleur du problème. Pourtant, les difficultés rencontrées par les familles monoparentales sont, elles, connues et chiffrées : elles étaient 40 % à vivre sous le seuil de pauvreté en 2011, contre 14 % pour les couples avec enfant, selon l’Insee.

Le sujet est tout de même sorti de sa confidentialité récemment. En 2014, la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a missionné 20 départements pour tester durant dix-huit mois un dispositif nommé « GIPA », la garantie des impayés de pensions alimentaires. Et c’est ce dispositif qui sera généralisé au 1er avril.
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Parmi les changements : le droit de demander l’allocation de soutien familial (ASF) de 100,80 euros par enfant dès le premier mois d’impayé, sans devoir attendre deux mois consécutifs. Et le maintien de cette ASF pendant six mois quand le parent isolé se remet en couple.

A aussi été instaurée une sorte de pension alimentaire minimale : en cas de pension inférieure à l’ASF, un complément permettant d’atteindre son montant est versé. Le dispositif prévoit également d’étendre les moyens des caisses d’allocations familiales (CAF) pour recouvrer les impayés.

Selon un rapport d’étape transmis en octobre au Parlement, près de 3 000 familles avaient bénéficié fin juin 2015 du nouveau complément d’ASF, dont 95 % de femmes, avec un montant moyen versé de 68 euros par mois. Et 90 000 ont été identifiées comme potentielles bénéficiaires dès avril.

La décision de généraliser la GIPA a été prise à l’automne dans le cadre du dernier projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Et le 8 mars 2016, François Hollande a annoncé la création d’une agence chargée du recouvrement des pensions impayées.

« Bravo au gouvernement de s’être penché sur la question, réagit Christine Kelly, présidente de K d’urgences, une fondation dont l’action est tournée vers les familles monoparentales. Pour monter un escalier, il faut mettre le pied sur la première marche, c’est la GIPA. La deuxième, c’est l’agence. »

« La possibilité de demander l’ASF dès le premier impayé va permettre de répondre plus rapidement aux situations urgentes, renchérit Catherine Coutelle, présidente socialiste de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale. Dans un premier temps, l’Etat est garant du paiement, dans un second temps, on recouvre la pension auprès du débiteur. »

Faux, objecte Stéphanie Lamy, fondatrice du collectif Abandon de famille – Tolérance zéro !, qui dénonce un nom de dispositif trompeur. « On s’est contenté de modifier le dispositif d’ASF existant, la pension n’est nullement garantie », dit-elle, en soulignant que l’ASF est souvent inférieure aux pensions dues. En effet, la pension fixée par enfant pour les mères en garde exclusive est supérieure à 100 euros dans 70 % des cas et la pension médiane s’établit à 150 euros.

« De même ce n’est pas parce que vous demandez l’ASF dès le premier mois que vous la toucherez rapidement, poursuit-elle. Dans les départements tests, des mères nous racontent qu’elles attendent toujours un versement alors qu’elles ont déposé leur dossier il y a des mois. »

Autre hic : le complément d’ASF versé en guise de pension minimale s’avère souvent neutre pour les familles, car cette allocation entre (à hauteur de 91 euros maximum) dans les revenus pris en compte pour le calcul du RSA. Ce qui est gagné d’un côté est perdu de l’autre. Or, 45 % des montants d’ASF complémentaire versés lors de l’expérimentation l’ont été à des bénéficiaires du RSA. Ce point donne « lieu à de nombreuses incompréhensions » chez les bénéficiaires, dit le rapport transmis au Parlement.

Enfin, il est encore trop tôt pour savoir si la GIPA a amélioré le taux de recouvrement des pensions par les CAF dans les 20 départements testés : aucun chiffre n’a été communiqué. Quant à la future agence destinée au recouvrement, aucun détail n’a pour le moment filtré. Rappelons que l’idée n’est pas nouvelle : la sénatrice Joëlle Garriaud-Maylam (Les Républicains) en avait fait une proposition de loi en 2011, qui ne fut jamais débattue.