Article publié sur NextInPact le 26 avril 2016 :
Une petite bataille parlementaire se déroule sur l’un des articles du projet de loi Lemaire. Il vise à favoriser le logiciel libre au sein de l’État et ses ramifications. Seulement, tous les amendements en ce sens ne déploient pas la même musculature.
Souvenez-vous. À l’Assemblée nationale, les députés avaient adopté une disposition au sein de l’article 9 ter du projet de loi sur le Numérique, visant à ce que « les services de l’État, administrations, établissements publics et entreprises du secteur public, les collectivités territoriales et leurs établissements publics encouragent l’utilisation des logiciels libres et des formats ouverts lors du développement, de l’achat ou de l’utilisation d’un système informatique ». Après un rude échange, ils n’avaient pas souhaité aller plus loin en donnant la priorité au libre comme le plébiscitait la consultation citoyenne.
Seulement, ce texte même allégé n’a pas survécu en Commission des lois au Sénat. Le rapporteur a jugé en effet non souhaitable « de maintenir […] une disposition exempte de portée normative et qui comporte, en outre, une injonction au Gouvernement. »
La priorité au libre accordée par plusieurs groupes
Cette semaine, en préparation des débats en séance, le Groupe communiste républicain et citoyen a malgré tout réintroduit la disposition initiale : « La priorité envisagée est une option et non une injonction, dès lors l’argument de contrariété au droit européen de la concurrence n’est pas recevable. »
Même réaction du groupe écologiste, avec une proposition déjà amendée par Gaetan Gorce. Le sénateur PS veut, non donner la priorité à l’utilisation du libre, mais imposer que les administrations recourent à ces licences, nuance importante !
Du côté de la sénatrice Garriaud Maylam, suivie d’une dizaine d’autres parlementaires LR, on estime que malgré la circulaire Ayrault de 2012, « le recours aux logiciels libres ne progresse pas significativement dans les administrations, comme en a témoigné par exemple le renouvellement en 2014 du contrat cadre liant en exclusivité le Ministère de la Défense à Microsoft Europe (dont le siège social est en Irlande) ».
Comme ses collègues des autres bords, elle dégomme donc les arguments du rapporteur considérant qu’« une telle priorité n’interdit nullement l’acquisition d’un logiciel fermé, si celui-ci répond mieux que les logiciels libres aux spécifications d’exigence fonctionnelle définies par l’adjudicateur public dans son cahier des charges ». Et elle rappelle que la priorité au libre a déjà été reconnue dans le secteur de l’enseignement supérieur en 2013. « Il serait donc surprenant qu’un principe jugé opportun pour le service public d’enseignement supérieur et de recherche soit rejeté pour les autres administrations. »
Fait notable, son amendement renvoie à un décret le soin de définir les modalités d’application de cette priorisation du libre dans le domaine public, ce qui rend plus nerveuse et normative sa proposition.
Le critère de la souveraineté
Chez les centristes, Catherine Morin-Desailly et Loic Hevré reprennent cette logique, mais sous une autre plume :
« Parmi les critères d’attribution des marchés publics ayant pour objet le recueil et le traitement des données publiques, ainsi que le développement, l’achat ou l’utilisation d’un système informatique, le recours à un prestataire ou à une solution technique ne menaçant pas la souveraineté numérique nationale et assurant une maîtrise des données publiques concernées est pris en compte par priorité par les pouvoirs adjudicateurs au sens de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ainsi que par les établissements publics et entreprises ayant le caractère de service public industriel et commercial. »
Dans leur angle d’attaque, plutôt qu’évoquer un objectif d’encouragement ou de priorisation au logiciel libre, les deux sénateurs demandent à ce que les marchés publics aient pour critères l’utilisation d’un système ou d’un prestataire non menaçant pour la souveraineté numérique nationale, tout s’assurant de la maitrise des données. « L’indépendance technologique, l’interopérabilité, l’auditabilité du code source, et surtout la maitrise de leurs données par les administrations doivent être des éléments essentiels dans les choix des prestataires ayant en charge le recueil et le traitement des données publiques, tout comme la gestion ou l’équipement des parcs informatiques publics » exposent-ils en appui de leur texte.
Sans mentionner des acteurs comme Microsoft ou l’expression même de « logiciel libre », les deux élus considèrent que « les choix par défaut de solutions commerciales les plus répandues sans considération des questions de souveraineté numérique ne peut perdurer au sein de nos administrations : l’exigence du choix de solutions techniques garantissant que l’institution publique concernée pourra conserver le contrôle de ses données et la maitrise du code source est essentielle ».
Le PS y va aussi de son amendement
Ces amendements ont été enfin enrichis en dernière ligne droite par un texte signé du groupe socialiste. En tête de fil, le sénateur Jean-Pierre Le Sueur voudrait que les administrations « veillent à préserver la maîtrise, la pérennité et l’indépendance de leurs systèmes d’information ». Elles doivent ainsi encourager « l’utilisation des logiciels libres et des formats ouverts lors du développement, de l’achat ou de l’utilisation, de tout ou partie, de ces systèmes d’information ».
Sa version initiale demandait à ce que les administrations soient « tenues de préserver » la maitrise, la pérennité et l’indépendance de leur SI. Rectifié, le texte actuel est donc un cran en-dessous puisqu’elles ne doivent plus que « veiller à préserver » ces critères.
Même si l’amendement est plus en retrait que les autres, la petite phrase est intéressante car de deux choses l’une : ou bien le groupe socialiste considère que les administrations ne parviennent pas à « préserver la maîtrise, la pérennité et l’indépendance de leurs systèmes d’information » et il y a un cinglant message adressé au gouvernement. Ou bien cette phrase est inutile car sans effet.