Saisissant l’occasion de la suspension de la session parlementaire au Sénat, j’ai effectué une tournée en Amérique centrale et au Mexique avec mes collègues du groupe interparlementaire d’amitié les sénateurs Sylvie Goy-Chavent, Daniel Laurent, Gérard Miquel et Gérard Cornu le président du groupe d’amitié. Ce déplacement m’a permis de mieux appréhender les enjeux de la présence française dans cette zone au potentiel géopolitique et économique important. Après le Guatemala et le Honduras où je m’étais déjà rendue dans le cadre de mon mandat de sénatrice des Français de l’étranger, c’était la première fois que je me rendais au Panama, au Costa-Rica et au Nicaragua.
Hasard du calendrier, notre voyage a coïncidé avec le scandale des Panama Papers… une affaire qui a bien sûr été au centre de nos discussions. J’avais d’ailleurs été invitée la veille de notre départ sur le plateau de Public-Senat pour débattre de ce dossier.. Si les révélations sur les placements offshore de personnalités et d’entreprises m’ont évidemment choquée, la réaction du gouvernement français ne m’a pas parue très adaptée aux enjeux. Soucieux de son image, Paris a annoncé vouloir réintégrer Panama sur la liste noire des paradis fiscaux et demander à l’OCDE de faire de même. Encore une fois, confronté à un problème majeur (l’évasion fiscale détournant des centaines de milliards d’euros des caisses des États), le gouvernement opte pour une réponse purement symbolique. Plutôt que d’élaborer des mesures pour empêcher les particuliers et entreprises françaises – et notamment celles dont l’État est actionnaire – de pratiquer l’évasion fiscale, le gouvernement préfère stigmatiser un bouc-émissaire, le Panama. Quid du Luxembourg ou de l’État du Delaware aux États-Unis ? L’inscription de pays dans la liste des Etats et territoires non coopératifs n’a d’ailleurs jusqu’ici jamais prouvé son efficacité dans la lutte contre l’évasion fiscale : l’inscription sur liste noire rend fiscalement très peu avantageuse l’ouverture d’une filiale ou d’un compte en banque dans les États concernés… mais pour que l’effet dissuasif fonctionne encore faut-il que le fisc soit informé de ces agissements !
La stigmatisation du Panama est vécue comme d’autant plus injuste que le pays avait réalisé de réels efforts pour améliorer sa législation fiscale ces dernières années, et avait été sorti de la liste grise du
GAFI en février dernier. Les récentes déclarations ne vont pas contribuer à l’encourager dans cette voie… Outre la portée limitée sur le plan fiscal de la réintégration du Panama sur la liste noire, cette fausse bonne idée pourrait causer beaucoup de tort à nos relations diplomatiques et commerciales, le gouvernement panaméen ayant annoncé qu’il allait prendre des « mesures de rétorsion » envers Paris. Les conséquences pourraient être graves pour nos entreprises, le Panama constituant un marché pour certains grands groupes français dans le domaine du BTP ou de l’énergie. C’est avant tout en travaillant sur notre propre législation, qu’il faut lutter contre l’opacité qui favorise les stratégies d’évitement de l’impôt… En ce sens, je soutiens la position du CCFD-Terre Solidaire qui appelle la France à créer un registre public des bénéficiaires réels des sociétés.
Le Panama et la France sont liés par une histoire commune ancienne et méconnue. De très nombreux Français, dont une majorité d’Antillais, ont participé à la construction du Canal de Panama, dès son lancement à la fin du 19e siècle. Ils seraient environ 20 000 à y avoir perdu la vie, glissements de terrain, malaria et fièvre jaune ayant provoqué une véritable hécatombe. Leur mémoire est toujours honorée dans le magnifique cimetière français de Panama, émouvante colline verdoyante piquée de petites croix blanches, où nous sommes rendus pour déposer une gerbe au nom de notre groupe d’amitié parlementaire France-Panama.
Nous nous sommes également rendus sur le chantier du Canal de Panama… si cette route maritime interocéanique de 80 km par où transite 5% du commerce maritime mondial a fêté en 2014 son centenaire, un consortium international a rouvert le chantier depuis 2007, en vue d’élargir le canal pour permettre le passage de navires transportant jusqu’à 12.000 conteneurs – le triple de la capacité actuelle : après plusieurs mois de retard, le troisième jeu d’écluses sera officiellement ouvert le 26 juin prochain.
Moins célèbre que le Canal mais toute aussi exceptionnelle est la biodiversité du Panama, avec une forêt vierge remarquable, entre mer et volcans – un trésor menacé par la déforestation extensive qui sévit depuis le milieu des années 1950. Un problème ancien, donc, mais extrêmement complexe à résoudre. En effet, l’essentiel de la déforestation est causée par de petits agriculteurs, dans un contexte où plus de 60% de la population rurale vit sous le seuil de pauvreté. Il apparaît donc socialement difficile de leur couper de ce moyen de survie. Le Panama a placé un quart de son territoire en « aires protégées », mais la catastrophe écologique ne pourra être évitée sans s’attaquer à ce fléau de la pauvreté rurale. D’où l’importance des projets de reforestation et d’agroforesterie mis en place ces dernières décennies pour donner aux agriculteurs des moyens de gagner leur vie tout en préservant l’environnement – projets coûteux et difficiles à mettre en œuvre à grande échelle, et qu’il importe donc que la communauté internationale soutienne.