Le Forum transatlantique de Défense qu’organise l’Assemblée parlementaire de l’OTAN se tient chaque année début décembre à Washington, et j’essaie toujours de prolonger ma participation à ce Forum, lorsque l’actualité et les urgences sénatoriales à Paris me le permettent, par un passage dans une autre ville des États-Unis, à la rencontre de nos compatriotes expatriés – cette fois à Washington et New York.
A peine arrivée à Washington, un dîner de travail avec l’Ambassadeur Gérard Araud m’a permis de faire le point sur les enjeux actuels de notre relations bilatérales et les attentes et craintes des Français des États-Unis quelques jours après l’élection de Donald Trump. Les incertitudes étaient de mise après cette élection coup de tonnerre, même si Gérard Araud, en dépit de son fameux tweet où il avait parlé de « vertige », s’est voulu confiant.
Ces Forums transatlantiques sont toujours l’occasion d’échanger avec des interlocuteurs de haut niveau sur l’actualité internationale en matière de défense et de sécurité, de partager nos visions, de trouver des convergences et d’évaluer nos bonnes pratiques. Cette année, l’humeur était plutôt sombre, en particulier chez nos amis parlementaires représentant les États Baltes. Pour eux, jamais la menace Poutine n’avait semblé aussi réelle, et, pour la première fois, ils commençaient à douter de la garantie d’une mise en œuvre de l’article 5 de la Charte OTAN en cas d’agression militaire par le grand voisin. Qui aujourd’hui serait prêt à mourir pour défendre Riga? Même les parlementaires américains membres des Républicains n’ont pas réussi à rassurer, tant ils semblaient eux-mêmes totalement incertains de ce que serait la politique étrangère et de défense de l’OTAN, s’abritant simplement derrière le fait que déjà l’administration Obama, en mettant l’accent sur la nécessité d’un pivot géopolitique en Asie-Pacifique, exhortait depuis plusieurs années les États européens à ne pas tout attendre des Américains et à partager le fardeau en commençant par consacrer 2% de leur PIB à la défense. L’analyse partagée par nos amis américains, qu’ils soient parlementaires, universitaires ou experts est en tout cas qu’il y aura un retour à l’isolationnisme et au protectionnisme , au principe de l' »America first » , aux rapports de force, aux politiques à court terme et un désengagement croissant face aux soubresauts de notre vieux monde. Seuls éléments un peu plus rassurants : d’abord la nomination du Général Mathis comme ministre de la Défense, un homme respecté et compétent malgré son surnom de « Mad dog », grand défenseur de l’OTAN et de la relation transatlantique (nous avions d’ailleurs eu l’occasion de Le rencontrer à plusieurs reprises dans nos réunions précédentes) et ensuite l’adage selon lequel … « le pire n’est jamais certain » .
A New-York, j’ai retrouvé avec plaisir les Conseillers et Délégués consulaires Patrick Pagni, Gérard Epelbaum, Roxane Sirotto et Richard Ortoli, ainsi que la Consule générale Anne-Claire Legendre que je remercie de leur accueil. Encore plus qu’ailleurs, la communauté française ne cesse de croître. Ce sont plus de 38 000 Français qui sont inscrits aujourd’hui au registre de cette circonscription, avec une communauté de plus en plus jeune: 52% des inscrits ont moins de 45 ans.
Les besoins en enseignement français sont donc particulièrement importants et le Label France Education est un atout considérable pour nous, d’autant que les frais de scolarité su Lycée français de New-York sont extrêmement élevés.
Cela fait très longtemps que j’encourage la création de programmes bilingues dès les petites classes et je m’émerveille toujours des progrès accomplis. Ce fut donc une joie pour moi de me rendre dans une de ces petites écoles (l’école PS133 à Brooklyn) pour lui remettre officiellement son Label FranceEducation. Cette école était la seconde à avoir créé un programme francophone à Brooklyn et ce fut pour moi un vrai bonheur de féliciter sa directrice – et instigatrice du programme en 2011 – Heather Foster-Mann et de partager la fierté des élèves, des parents et des enseignants face aux résultats remarquables de ce programme.
Créé par le Ministère des Affaires étrangères, ce label d’excellence FrancEducation est décerné – après avis d’une commission consultative interministérielle – aux établissements scolaires étrangers publics ou privés qui, dans le cadre de leur enseignement national, offrent un enseignement renforcé de la langue française . A ce jour 157 établissements dans le monde l’ont reçu, dont 26 aux États-Unis (Floride, Louisiane, Utah, Maryland, Oklahoma, NY) et ce nombre ne cesse de croître. C’était une grande fierté et une vraie émotion pour moi, qui suis convaincue de la nécessité absolue de développer ce type de structures éducatives bilingues dans le monde (et en France!) et qui ai vu le lancement en 2007-2008 de la toute première filière bilingue à New-York, la PS58, avec une institutrice et 24 enfants (12 francophones et 12 anglophones) de constater l’essor en moins de 10 ans de ces filières, qui accueillent aujourd’hui 1700 élèves dans 10 écoles de la ville. Ces filières bilingues, implantées dans des écoles publiques gratuites sont une solution pertinente pour beaucoup de familles françaises qui n’ont pas toujours les moyens d’offrir à leurs enfants une scolarité dans une école AEFE, mais veulent un enseignement de qualité en français et en anglais, dans une atmosphère multiculturelle et avec une pédagogie diversifiée, fondée sur des valeurs de tolérance et de curiosité. Elles contribuent aussi à une meilleure intégration des familles expatriées françaises dans le tissu local et nécessitent un vrai engagement des parents, des enseignants et des équipes d’encadrement.
Une réunion aux Services culturels de l’Ambassade m’a permis de retrouver leur responsable, Bénédicte de Montlaur, que j’avais rencontrée pour la première fois en 2008 en Syrie où elle m’avait déjà impressionnée par le dynamisme et la passion avec lesquels elle s’investissait sur ses dossiers.
Le service culturel français à New York est sans doute l’un des plus beaux au monde, dans le splendide Payne Whitney Mansion, hôtel particulier du « Gilded Age » et fleuron de l’architecture américaine du début du 20ème siècle, face à Central Park sur la 5ème avenue. Une quarantaine de personnes y travaillent sur tous les dossiers de notre politique culturelle aux Etats-Unis (échanges universitaires, audiovisuel, promotion de nos films etc) et 30 000 personnes par an viennent profiter des nombreux événements, conférences ou débats qui y sont organisés. Construit en 1902, l’édifice fut acquis par la France 50 ans plus tard pour héberger les services culturels de l’ambassade. Au centre du hall d’entrée en marbre, se trouve une ravissante statue Renaissance « le jeune archet » attribuée en 1997 à Michel-Ange . Il s’agit en fait d’une copie, la statue originale ayant été confiée par prêt au Metropolitan Museum jusqu’en 2019. A droite du hall d’entrée se trouve l’exquise « salle vénitienne », salle de réception aux allures de boudoir réalisée par les meilleurs artisans du début du 20ème, avec des meubles et tableaux européens -surtout français- de la fin du 18ème. Autre petite merveille de ces services culturels, la célèbre librairie Albertine (évidemment en référence à l’héroïne de Proust) seule librairie française de New-York, ouverte il y a deux ans par l’ancien Conseiller culturel Antonin Baudry (l’auteur de la BD Quai d’Orsay) et conçue par le décorateur Jacques Garcia comme une bibliothèque-salon de lecture, avec fauteuils confortables et décors inspirants, prêtant aux rêves.
Ce merveilleux édifice, très aimé des Américains est un des fleurons de notre patrimoine à l’étranger et nous nous devons de le défendre, Bercy étant évidemment très tenté par une vente qui lui permettrait de résoudre quelques problèmes budgétaires à court-terme. Nous devons également l’entretenir, ce que ne prévoient pas les budgets du Ministère…
J’ai également participé à la réunion du bureau du Comité Central des 72 Associations françaises de New-York que préside le Conseiller consulaire Gérard Epelbaum, lui-même président de l’UFE, réunion suivie de leur réception de Noël. Ce Comité des Associations, fondé en 1924 par les Anciens combattants de la guerre de 14-18 avec la participation de toutes les associations de New-York, dont les plus anciennes comme l’Union française, créée en 1797, la Société culinaire philanthropique, fondée en 1865, l’Union alsacienne, formée en 1871 par les réfugiés d’Alsace et de Lorraine, l’Alliance française (1894), la Société des professeurs français en Amérique (1904), le « French Institute » (1911), (aujourd’hui l’Alliance et l’Institut ont fusionné en un seul établissement, Le FIAF); le Vatel Club, fondé en 1913 ou encore la Fédération des vétérans (1919). Il a été notamment présidé par deux de mes grands amis et prédécesseurs au Sénat, Jacques Habert, officier-aviateur pendant la 2ème guerre mondiale, professeur et directeur de France-Amérique, sénateur de 1969 à 1998 (décédé en 2012 à l’âge de 92 ans) et André Maman, ancien Professeur à Princeton et sénateur de 1992 à 2001.
La réception, remarquablement organisée, avec une superbe prestation de la Chorale des élèves du Lycée français de New-York fut également empreinte de grande émotion, avec la remise de la médaille d’honneur des Associations à trois membres ayant particulièrement oeuvré pour le bien de la communauté, dont, à titre posthume, Christian Millet, Conseiller du Commerce extérieur, officier de réserve et co-fondateur de l’Association « The French will never forget » décédé en septembre à l’âge de 58 ans.
J’ai quant à moi tenu à rendre hommage à notre ancien collègue de l’AFE, Jean-Paul Picot, autre figure emblématique des Français de New-York, à la tête du restaurant La Bonne Soupe qu’il avait ouvert en 1973 et décédé brutalement en novembre 2013. Monique, son épouse pendant plus de 40 ans, m’avait soufflé quelques instants plus tôt qu’il aurait fêté son 80ème anniversaire ce même soir…