Ma tribune publiée par le Huffington Post :
A 3 mois des législatives, le gouvernement annonce soudainement la suppression du vote par Internet pour les Français de l’étranger pour cette élection.
Le motif de ce volte-face stupéfiant? Les « menaces » pesant sur ce mode de scrutin. Une découverte bien tardive des problèmes de cybersécurité par les experts du Quai d’Orsay! Les risques inhérents au vote par Internet ont en effet été largement documentés depuis des années. Je les avais à de nombreuses reprises soulignés, exemples étrangers à l’appui – pas pour interdire ce mode de vote, indispensable pour les Français de l’étranger – mais pour souligner la nécessité qu’il ne reste qu’un mode « d’appoint », complémentaire au vote à l’urne, au vote par procuration et au vote par correspondance postale. Lorsque je me suis vigoureusement opposée – en vain, seul l’ancien sénateur André Ferrand ayant cosigné mon amendement – à la suppression du vote par correspondance postale pour les élections consulaires, il m’a été répondu que celui-ci n’était plus nécessaire à l’heure du vote par Internet… quelle aberration aujourd’hui de supprimer ce dernier!
Comme en 2012, en l’espace de quelques semaines, nous serons appelés quatre fois aux urnes. Honorer leur devoir citoyen nécessitera donc aux Français de l’étranger habitant à des centaines de kilomètres de leur bureau de vote de réaliser huit long voyages. Dissuasif… d’où la nécessité de trouver des solutions techniques.
Si le vote par correspondance postale et par Internet a été autorisé, de manière dérogatoire, pour les expatriés, c’est bien pour rendre effectif le droit de vote à l’étranger en comblant un manque: incapacité matérielle d’ouvrir des bureaux de vote suffisamment proches des électeurs (notamment en dehors des grandes villes) et faiblesses du vote par procuration (difficulté à trouver un mandataire et non-respect du principe de secret du vote). Les bénéfices ont été évalués comme supérieurs aux risques.
Le vote par correspondance postale a été autorisé dès 1982 pour l’élection des élus de terrain des Français de l’étranger. Pour ces mêmes élections, le vote électronique a été instauré par une loi de 2003. La possibilité de voter par Internet pour les législatives a, elle, été inscrite à l’article L330-13 du Code électoral par une ordonnance de 2009. Ce mode de vote a par ailleurs été validé par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2012-4597/4626 AN du 15 février 2013, dans laquelle il a considéré que l’usage du vote par correspondance postale et électronique n’avait pas altéré la sincérité d’un scrutin.
Le brutalité de l’annonce de la suspension du vote électronique, conjuguée à la mauvaise volonté évidente des consulats de communiquer sur l’alternative du vote par correspondance postale, fait planer un doute sur les motivations du Ministère. Ne cherche-t-on pas à éloigner des urnes les Français de l’étranger – électorat traditionnellement ancré au centre-droit?
Les expatriés avaient en effet jusqu’au 1er mars pour réclamer à leur consulat le matériel de vote s’ils voulaient conserver la possibilité de pouvoir voter par correspondance postale. Mais aucune communication officielle ne les a avertis de cette date butoir suffisamment en amont. Pis, comme je l’ai pointé du doigt dans une question écrite, nombre de consulats ont au contraire cherché à dissuader les électeurs d’avoir recours à ce mode de scrutin au profit des autres modes de vote disponibles. De nombreux électeurs éloignés des bureaux de vote ont donc misé sur le vote Internet et omis de s’inscrire pour le vote par correspondance. Le probable report au 31 mars de la date butoir pour s’y inscrire risque de ne pas être suffisant si une communication adaptée n’est pas déployée.
L’autre non-dit de cette affaire est son volet budgétaire. Le budget prévu pour le vote électronique à ces élections était de 4 millions d’euros, dont 2 millions n’auraient pas encore été dépensés. N’est-ce pas là une occasion de faire des économies sur le dos des droits civiques des expatriés? Là encore, le coût du vote électronique ne constitue pas une surprise. Il est évidemment sans commune mesure avec celui du vote par correspondance postale, comme je l’avais souligné dans les débats de 2013. Mais l’on peut espérer qu’une fois la phase de développement et d’investissement passée, et à condition que le Ministère soit vigilant dans le choix de ses prestataires et des technologies retenues, ces coûts diminueront.
Soulignons enfin que le récent « test grandeur nature » mis en avant par Matthias Fekl pour justifier sa soudaine défiance n’a pas fait apparaître de menace nouvelle, mais plutôt des problèmes techniques dont la plupart avaient déjà identifiés en 2012. C’est donc moins à l’environnement international qu’aux faiblesses des prestataires et choix des technologies retenus par le Quai d’Orsay que seraient imputables les difficultés mises en évidence lors de ce test.
Plutôt que de mettre brusquement, sous l’effet de fantomatiques menaces, un coup d’arrêt à une technologie nécessaire aux expatriés et de plus en plus sûre, ne serait-il pas opportun de laisser les législatives 2017 se dérouler dans les conditions prévues, quitte à organiser, à leur issue, une nouvelle réflexion sur le renforcement de la sécurité du vote électronique? Plutôt que de nous écraser devant une menace aux contours imprécis, concédant ainsi implicitement une victoire aux cyberattaquants, ne devrions-nous pas travailler avec combativité à l’amélioration de notre dispositif de vote électronique?