Juil 17 2017

PJL Confiance vie publique / réserve parlementaire

Extrait du compte-rendu intégral du 13 juillet 2017 :

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Très honnêtement, madame la garde des sceaux, la suppression de la réserve parlementaire dans ce projet de loi est presque démagogique, puisque, comme l’a rappelé à juste titre le Conseil d’État, il aurait suffi que le Gouvernement ne dépose pas d’amendement pour ouvrir des crédits à ce titre lors du prochain projet de loi de finances !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. C’est d’autant plus bizarre que, en vertu de l’article 40, tout amendement sur cette mesure est voué à l’irrecevabilité, sauf amendement de suppression pur et simple. Ce n’est évidemment pas le meilleur moyen de promouvoir une relation constructive entre le Parlement et le Gouvernement…

Par ailleurs, madame la garde des sceaux, vous avez indiqué lors de votre audition que les arbitrages sur le fléchage de l’ancienne enveloppe de la dotation d’action parlementaire, la DAP, n’avaient pas été rendus, alors même que ces projets de loi sont inscrits en procédure accélérée. C’est curieux !

J’avais déposé un amendement, hélas jugé irrecevable, visant à flécher le contenu de l’ancienne réserve parlementaire dévolue aux sénateurs et députés des Français de l’étranger vers un fonds pour la présence et le rayonnement de notre pays à l’étranger. En effet, au-delà des abus auxquels il était indispensable de remédier, la réserve remplissait une fonction extrêmement utile, non seulement en France, en faveur essentiellement des toutes petites collectivités, mais aussi et surtout à l’étranger.

Vous le savez sans doute, madame la garde des sceaux, les budgets alloués par le Quai d’Orsay ne cessent de se réduire. Certains services publics reposent dorénavant largement sur les associations ou sur la réserve parlementaire, qu’il s’agisse de l’accès à l’enseignement ou de l’aide sociale.

Le Gouvernement a pris un engagement certes flou en faveur des petites communes, mais pour les Français de l’étranger, c’est le grand silence !

Je le dis avec insistance, madame la garde des sceaux, il ne faut pas oublier les Français de l’étranger, qui sont les premiers acteurs et les artisans du rayonnement de notre pays à l’étranger, en matière aussi bien culturelle qu’économique ! J’aimerais donc que vous preniez un engagement à cet égard.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Mesdames, messieurs les sénateurs, en réponse à vos propos, je souligne que la suppression de la réserve parlementaire ne constitue ni un acte de défiance de la part du Gouvernement – l’un d’entre vous a parlé ce matin de rupture de confiance ; j’y vois plutôt un changement de procédure –, ni une marque d’antiparlementarisme, comme j’ai pu également l’entendre dire.

Au contraire, notre projet s’inscrit dans le respect des missions que la Constitution donne au Parlement. Aux termes de l’article 24 de la Constitution, le Parlement a trois fonctions : il vote la loi, il contrôle l’action du Gouvernement et il évalue les politiques publiques.

Il appartient à l’État et aux exécutifs locaux de conduire des politiques publiques par le biais d’un budget qui sera voté par le Parlement ou par l’assemblée délibérante, et qui se traduira par des dotations et par des subventions. Le Gouvernement souhaite la suppression de la réserve parlementaire tout simplement parce que celle-ci brouille les lignes constitutionnelles que je viens de rappeler. (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Pierre Sueur. Cela fait un demi-siècle !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il y a donc eu un demi-siècle de brouillage…

M. Daniel Gremillet. N’importe quoi !

M. Alain Gournac. Si c’était vrai, cela se saurait !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la garde des sceaux, on voit à votre sourire gêné que vous n’y croyez pas.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Pas du tout, madame la sénatrice ! J’expose juste une position différente de la vôtre.

J’entends, bien évidemment, vos protestations, puisque vous êtes les représentants des territoires. Toutefois, parce que je sais faire la part entre la Constitution, dont je souhaite le respect, et les préoccupations de nos concitoyens, dont vous pouvez être les porteurs, j’ai pris des engagements liés à la suppression de la réserve parlementaire. Je le redis devant vous, le Gouvernement s’engage à ce que le montant attribué aux collectivités locales au titre de la réserve parlementaire, soit 86 millions d’euros, soit réorienté vers les territoires. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jackie Pierre. C’est une recentralisation !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le Gouvernement a proposé de réorienter cette somme vers des instruments comme la DETR ou la DSIL, la dotation de soutien à l’investissement local. (Mêmes mouvements.)

[…]

J’ai entendu également que certains déploraient les imperfections du système. Les parlementaires ne seraient pas assez présents : un certain nombre d’amendements visent d’ailleurs à renforcer leur présence au sein des commissions d’attribution, voire à leur permettre de décider de ces attributions à une majorité des trois cinquièmes. Nous travaillerons ensemble afin de mieux associer les parlementaires à ce processus.

M. Roger Karoutchi. Tant mieux !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. La commission des lois, elle, a travaillé sur une autre piste et a adopté un autre schéma, qui est très intéressant, certes, mais qui ne rompt pas complètement avec la pratique actuelle – c’est un euphémisme !

En effet, il s’agit de recréer un fonds aboutissant à peu près à la même situation que celle que le Gouvernement entend supprimer, avec toutefois des garanties procédurales et des critères clairement exposés, je le reconnais, ainsi que des obligations de publicité reprises dans l’amendement de la commission des lois.

L’inscription dans la loi organique relative aux lois de finances d’un mécanisme clairement défini constitue, à n’en pas douter, un progrès par rapport à la situation actuelle de la réserve parlementaire, qui est un non-dit budgétaire et juridique. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)

[…]

La dotation proposée par la commission des lois porte sur les territoires. Je formulerai trois observations.

Premièrement, le mécanisme constitue un progrès, mais quid des associations, dont vous avez parlé ici à plusieurs reprises et que l’Assemblée nationale ne manquera pas d’évoquer à son tour ? Deuxièmement, ce dispositif ne prend pas en compte les projets pour les Français de l’étranger. Troisièmement, ce projet, qui évoque les territoires en général, pourrait peut-être également être plus précis sur les finalités des dotations accordées. Je pense, par exemple, à des finalités transversales, telles que l’accessibilité aux lieux et aux services publics.

Certes, le travail effectué par la commission des lois du Sénat constitue un progrès par rapport à la situation antérieure. Toutefois, j’ai le sentiment que nous avons encore besoin d’un peu de temps pour avancer dans l’écriture de ce texte et que le travail que le Gouvernement sera amené à conduire avec l’Assemblée nationale nous permettra, sur la basse de la piste que vous avez ouverte, d’aller un peu plus avant. Il y a là une ouverture sur laquelle, le moment venu, je pourrai sans doute m’appuyer.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, rapporteur. Nous avons eu un long débat préliminaire. Je veux dire à mes collègues qui ont déposé des amendements de suppression de la disposition adoptée par la commission des lois que leur proposition conduirait, non pas à recréer la réserve parlementaire, contrairement à ce qu’ils escomptent, mais uniquement à rétablir le non-droit. Il suffira alors au Gouvernement de ne pas inscrire de crédits dans l’amendement de fin d’année qu’il a coutume de présenter pour abonder la réserve parlementaire !

M. Jean-Pierre Sueur. Très juste !

M. Philippe Bas, rapporteur. Nous nous mettrions donc dans un grand état de faiblesse en supprimant la proposition de la commission, car le Sénat enverrait alors un texte d’une grande neutralité à l’Assemblée nationale. Celle-ci n’aurait aucun guide pour rechercher un accord avec nous.

Si nous voulons nouer un dialogue avec l’Assemblée nationale, dont j’ignore à l’avance s’il pourra aboutir, même si Mme la garde des sceaux vient malgré tout de nous dire que le Gouvernement ne nous ferme pas complètement la porte, il importe que nous votions la proposition de la commission, d’autant que Mme la garde des sceaux a reconnu qu’il s’agissait d’une piste sur la base de laquelle, je la cite exactement, le travail pourrait se poursuivre.

Compte tenu de l’heure avancée et des explications que je vous donne, je vous supplie donc de retirer vos amendements ou, à défaut, de les présenter en étant aussi brefs que possible. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Jean-Jacques Filleul applaudit également.)

[…]

M. le président. Je suis saisi de six amendements identiques.

L’amendement n° 17 rectifié bis est présenté par MM. Maurey et Fouché, Mme Férat, M. Commeinhes, Mme Imbert, MM. Laurey et Médevielle, Mme Joissains et M. Kern.

L’amendement n° 30 est présenté par Mme Duranton.

L’amendement n° 36 rectifié est présenté par M. Bigot, Mme Bonnefoy, MM. Botrel, Boutant, Cabanel et Carcenac, Mme Cartron, MM. Courteau, Daudigny et Éblé, Mmes Espagnac, Féret et Jourda, MM. Labazée, Lalande, Leconte, Lozach, Marie, Mazuir, Montaugé, Roux, Sutour et Sueur, Mmes Monier et Durrieu, M. Roger, Mme Yonnet, M. Duran, Mmes Génisson, Lepage et Meunier, M. Vandierendonck et les membres du groupe socialiste et républicain.

L’amendement n° 41 est présenté par Mme Deromedi, MM. Frassa, Cantegrit et Duvernois et Mme Kammermann.

L’amendement n° 68 rectifié est présenté par MM. Doligé et Cardoux, Mme F. Gerbaud, M. Houpert, Mme Lopez, MM. Milon, Pellevat et Pointereau, Mme Procaccia et MM. Rapin et Vasselle.

L’amendement n° 80 rectifié est présenté par MM. Arnell, Barbier et Collin, Mme Costes, M. Guérini, Mme Laborde et M. Requier.

Ces six amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.

Les amendements nos 17 rectifié bis et 30 ne sont pas soutenus.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l’amendement n° 36 rectifié.

M. Jean-Pierre Sueur. Ayant entendu les explications de M. le rapporteur, je retire cet amendement, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 36 rectifié est retiré.

La parole est à M. Louis Duvernois, pour présenter l’amendement n° 41.

M. Louis Duvernois. Je le retire également, monsieur le président.

[…]

M. le président. L’amendement n° 53 rectifié bis, présenté par Mme Deromedi, MM. Frassa, Cantegrit et Duvernois et Mme Kammermann, n’est pas soutenu.

M. Philippe Bas, rapporteur. Je le reprends au nom de la commission des lois, monsieur le président !

M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 91, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, et qui est ainsi libellé :

Après l’alinéa 17

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« … – Le présent article est applicable aux projets que les députés et sénateurs proposent pour répondre aux besoins d’investissement des établissements français d’enseignement à l’étranger et des organismes publics et privés qui concourent aux actions de soutien et d’accompagnement aux Français établis hors de France en matière scolaire, de bienfaisance et de solidarité, et en matière de développement culturel, ainsi que de développement économique de la France. »

Vous avez la parole pour le défendre, monsieur le rapporteur, et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 37 rectifié.

M. Philippe Bas, rapporteur. Mes chers collègues, je vous remercie de votre coopération. Je vais pourtant moi-même porter atteinte à la règle que je vous ai demandé de respecter. (Sourires.)

La commission est favorable à l’amendement de Mme Deromedi. Comme aucun cosignataire n’était là pour le défendre, je l’ai repris. En effet, la Haute Assemblée ne peut pas laisser complètement à l’écart les Français de l’étranger. Cette disposition viendra ainsi s’ajouter au dispositif que je vous propose au nom de la commission.

M. Philippe Bas, rapporteur. Je demande par conséquent le retrait à son profit de l’amendement n° 37 rectifié, dans la mesure où ses dispositions vont dans le même sens. Il en allait de même, d’ailleurs, de l’amendement qu’avait déposé Joëlle Garriaud-Maylam et qui n’a pu être retenu pour des raisons juridiques, ce que je déplore.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces deux amendements, en raison de la circonstance particulière dans laquelle nous nous trouvons.

[…]

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 91.

(L’amendement est adopté.)