Article publié par Oumma :
Avant de quitter la présidence, François Hollande a laissé un joli casse-tête diplomatique à son successeur. En essayant de parachuter sa ministre de la Culture Audrey Azoulay à la direction de l’UNESCO, l’ancien chef de l’État a mis Emmanuel Macron dans une fâcheuse posture. L’élection pour le Secrétariat général de l’organisation aura lieu en octobre et l’Élysée soutient désormais du bout des lèvres une candidature qui se révèle de plus en plus gênante.
Que deviennent les ministres du précédent quinquennat ? Alors que certains se plaignent d’avoir du mal à retrouver un emploi, comme Emmanuelle Cosse, d’autres s’apprêtent à embrasser la carrière d’animateurs radio : Aurélie Filippeti sur RTL, Axelle Lemaire sur France Culture…
Ministre de la Culture dans les gouvernements Valls II et Cazeneuve, Audrey Azoulay, elle, s’est lancée dans la course à la tête de l’UNESCO. Une postulation déposée quelques jours à peine avant la clôture officielle des candidatures en mars 2017, et appuyée à l’époque par le Président de la République François Hollande. Un choix qui s’avère être un cadeau empoisonné pour les responsables français.
Un parachutage qui vire à la crise diplomatique
« Une telle candidature est une insulte aux pays arabes, qui n’ont jamais obtenu un tel poste à l’UNESCO et envers lesquels des engagements moraux avaient été pris pour que ce poste revienne à un des leurs », déclarait en mars dernier dans un communiqué incendiaire la sénatrice Joëlle Garriaud-Maylam. Une prise de parole qui révèle l’embarras des fonctionnaires et des responsables politiques français sur ce dossier.
L’annonce de la candidature d’Audrey Azoulay a fait l’effet d’une petite bombe dans les milieux feutrés de la Diplomatie et de la Culture. Une situation gênante pour le Quai d’Orsay, car il était à peu près entendu depuis de nombreuses années dans les différentes chancelleries que le prochain Secrétaire général de l’organisation devait être issu d’un pays arabe. En effet, durant ses 72 ans d’existence, l’UNESCO a vu à sa tête 10 présidents, dont 7 venaient d’Europe ou d’Amérique du Nord. Il faut savoir que les pays membres de l’UNESCO sont divisés en six groupes, chacun représentant une zone culturelle et géographique donnée. Le premier groupe auquel appartient la France a obtenu six fois le poste de Directeur général, et chaque autre groupe une fois, à l’exception… des pays arabes.
Une situation qui conduisait naturellement ceux-ci à s’imaginer que l’élection allait cette fois se jouer entre les candidats égyptien, irakien, qatari et libanais, les autres pays comme le Viêtnam, le Guatemala ou l’Azerbaïdjan se contentant de faire de la figuration. C’était sans compter sur la candidature française au dernier moment…
Le 8 juin dernier, alors qu’il était en visite au Caire, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves le Drian s’est vu remettre une pétition signée par une cinquantaine de grands noms de la culture arabe. Un texte long et détaillé rédigé en français qui rappelle que la direction de l’UNESCO devait revenir à un pays du Moyen-Orient en 2017, mais aussi que cette élection serait un symbole fort. Selon les signataires, laisser la direction de la plus grande organisation culturelle mondiale à un Arabe serait une belle réponse aux populistes et aux islamistes qui alimentent la perspective d’un hypothétique « conflit de civilisation ».
Un impair diplomatique d’autant plus grave qu’en voulant trouver un parachutage en or pour son ancienne ministre, François Hollande a aussi brisé une règle tacite des organisations internationales : un pays où siège l’une de ces institutions ne propose pas de candidat à sa tête. Une forme de courtoisie pour assurer une neutralité maximale et pour éviter qu’un Suisse siège à l’OMC, un Italien à la FAO… ou un Français à l’UNESCO. Les ennuis s’accumulent pour les fonctionnaires du Quai d’Orsay, contraints de devoir défendre une candidature qui horripile la plupart de nos partenaires.
Une situation qui conduit Emmanuel Macron à être particulièrement discret sur le sujet. Lors de son allocution à la conférence des ambassadeurs le 29 août dernier, le président de la République s’est contenté d’une simple allusion : « Je n’oublie pas que notre pays appartient à tous les cercles importants de ces institutions et a l’honneur d’en accueillir plusieurs sur son sol, l’OCDE, l’Organisation internationale de la Francophonie, le Conseil de l’Europe, l’UNESCO, dont les missions sont fondamentales à mes yeux, et à la direction de laquelle je soutiens la candidate française. ». Une seule déclaration sur plus d’une heure de discours, sans même prononcer le nom d’Audrey Azoulay.
Le dossier gênant des « biens mal acquis du quai Branly »
L’élection pour le Secrétariat général de l’UNESCO est un habile jeu diplomatique : chaque représentant des pays membres possède une voix. Il faut donc convaincre un maximum d’Etats à travers le monde. Si Audrey Azoulay a réussi l’exploit de se mettre à dos l’ensemble des pays arabes, il est fort probable qu’elle peine aussi à susciter l’adhésion des nations africaines.
Son passage au ministère est en effet marqué par l’affaire des « biens mal acquis du quai Branly ». En juillet 2016, le nouveau Président du Bénin Patrice Talon demande officiellement aux autorités culturelles françaises de rendre à son pays les œuvres d’art et les trésors historiques pillés pendant la période coloniale. Un ensemble de statues, de trônes et de bijoux qui datent du royaume du Dahomey et que le gouvernement de Porto-Novo voudrait voir revenir en Afrique. Une réclamation qui est aussi un enjeu économique pour le petit état béninois qui souhaite développer son secteur touristique en enrichissant ses musées nationaux.
Le ministère de la Culture (dont dépend le quai Branly où sont exposées ces œuvres) avait fermé ses portes aux demandes béninoises, sans entamer la moindre négociation. Une fin de non-recevoir d’Audrey Azoulay qui avait alors vexé bon nombre de pays africains.
Les difficultés s’amoncellent pour l’ancienne ministre. Héritage du « hollandisme », la candidature française au secrétariat général de l’UNESCO vire au couac diplomatique et gêne l’Élysée. Emmanuel Macron se voit contraint de se livrer à un jeu d’équilibriste inconfortable, entre la volonté de préserver de bonnes relations avec nos partenaires arabes ou africains et l’obligation de soutenir officiellement une candidature qu’il n’a jamais souhaitée.