Jan 29 2018

Francophonie ou cacophonie ?

francophonieLe Monde, samedi 27 janvier 2018, p. 24 (Culture | Chronique, par Michel Guerrin) :

Emmanuel Macron adore exalter la francophonie et faire la promotion de notre langue. A la Foire du livre de Francfort, à Ouagadougou, à Alger ou à Pékin, ou devant les Français de l’étranger. Il prophétise que le français sera demain « la première langue d’Afrique » et « peut-être du monde . Pour y arriver, l’Etat lance une consultation populaire, vendredi 26 janvier, par le biais de la plate-forme ­Monidée­pourlefrançais.fr. Suivra une conférence internationale, les 14 et 15 février, à Paris. Et le président annoncera, en mars, un « grand plan » pour la francophonie.

Mais des mots à la réalité, il y a un gouffre. Déjà, sur les symboles. Macron vante le français, mais il a surtout donné des entretiens en anglais aux télévisions étrangères, et il en rajoute avec ses slogans « Choose France » ou « France is back . Il aurait pu créer un ministère, mais il a préféré nommer l’écrivaine Leïla ­Slimani « M­me Francophonie », sans budget ni bureau.

Prenons les chiffres. Avec 275 millions de locuteurs, le français est la sixième langue parlée dans le monde – derrière le mandarin, l’anglais, l’espagnol, l’arabe et l’hindi. Ce chiffre pourrait tripler d’ici à trente ans. Mais, dans le même temps, le français perd de son influence dans les secteurs-clés – l’université, l’entreprise, les sciences, le tourisme, le sport et la culture. Là, l’anglais écrase tout. Demain, l’enjeu sera l’Afrique, qui absorbe déjà plus de la moitié des locuteurs, et demain peut-être 80 %.

Or, il faut batailler pour que le français reste dans la course. D’autres le font. En dix ans, constate Joëlle Garriaud-Maylam, sénatrice Les Républicains des Français de l’étranger, dans une tribune au FigaroVox du 9 janvier, la Chine a ouvert cinq cents Instituts Confucius dans le monde. D’autres pays investissent dans leur langue. La France ? Les crédits sont rognés depuis quinze ans, y compris pour 2018. Nombre d’Instituts français, chargés de promouvoir notre culture, ont fermé ou furent « ratiboisés . Quant aux enseignants français à l’étranger, nerf de la guerre, il en manque tant ils sont mal payés.

Comparons les dispositifs. L’Allemagne a le Goethe-Institut, le Royaume-Uni le British Council, l’Espagne l’Instituto Cervantès, la Chine l’Institut Confucius. En France ? Il faut des heures pour comprendre le millefeuille institutionnel, mélange de bureaucratie illisible au sommet et d’enthousiasme militant à la base.

Ce qui marche, ce sont les 834 Alliances françaises qui offrent des cours de français et des événements culturels. Dans les grandes et petites villes, pays riches et pauvres. Ce sont pour l’essentiel des associations privées, autonomes et à 95 % autofinancées – grâce aux cours payants. C’est un efficace outil de promotion de la langue, qui plus est à très peu de frais pour l’Etat, hormis quelques cas. A côté, il y a une centaine d’Instituts français, qui sont des services culturels rattachés aux ambassades. Il y a aussi un Institut français à Paris, dépendant du Quai d’Orsay, qui soutient des projets culturels.

Et puis, il y a une quatrième entité, celle-là dans la tourmente. Il s’agit de la Fondation Alliance française, que l’Etat a créée en 2007 pour coordonner le réseau des Alliances françaises de par le monde et les défendre. Présidée par Jérôme Clément, l’ancien patron d’Arte, elle est logée, avec ses quinze salariés, dans le bâtiment du boulevard Raspail où l’Alliance française de Paris – Ile-de-France accueille 10 000 étudiants par an.

Lors de sa création, la Fondation a reçu ce bâtiment en dotation, faisant passer l’Alliance française de Paris du statut de propriétaire à celui de locataire. Or, son président, Jean-Jacques Augier, trésorier de la campagne de François Hollande en 2012, refuse de payer le loyer. Au motif que le transfert de propriété vaut spoliation. Il considère également que la Fondation est inutile et ne lui voit qu’un avenir : mourir.

Un petit monde qui se déchire

Augier est en passe d’arriver à ses fins. Avec 700 000euros de loyers impayés, la fondation est dans le rouge. M. Clément a appelé l’Etat à la rescousse qui a répondu niet. Aussi, le 18 janvier, plus du tiers des membres du conseil d’administration de la fondation a démissionné, dont Jérôme Clément et Alain Juppé, maire de Bordeaux. On peut s’indigner du fait que M. Augier ne respecte pas les statuts; les tribunaux décideront. Sauf qu’il n’est pas isolé dans son combat. Un rapport interministériel est rude pour la fondation – investissements hasardeux pour un résultat incertain. La justice a également dit, pour l’instant, que la contestation du bail est « sérieuse .

L’Etat a aussi taclé la Fondation pour n’avoir pas su lever de fonds. De grosses Alliances françaises contestent l’interventionnisme de la Fondation. En fait, la légitimité de cette dernière ne pouvait naître que des fonds qu’elle lèverait pour financer des actions. Or, elle s’est retrouvée à demander des sous à des Alliances contre des services que ces dernières jugent largement inutiles.

Ce petit monde se déchire depuis un an, mais se retrouve sur un point : pourquoi l’Etat n’agit-il pas ? Il attend un rapport confié au diplomate Pierre Vimont. On constate pour l’instant ceci : les Alliances marchent bien sans l’Etat, qui bouge peu pour ce qui ne marche pas. Il a pourtant fort à faire. Déjà, redresser les budgets. Ensuite, avec ou sans Fondation, mettre de l’ordre dans son dispositif. Trouver une meilleure synergie entre Alliances et Instituts, qui se marchent parfois sur les pieds. Les fédérer sur le sujet crucial de l’enseignement de la langue, tant l’autoapprentissage par Internet monte en flèche. Une méthode hybride, qui associe apprentissage sur Internet et contact avec un professeur, est à inventer, mais elle coûtera très cher. Seul l’Etat peut porter ce projet. A lui d’agir, au-delà de jolis mots.