Mai 10 2018

Norvège (6-10 mai 2018)

Retour en Norvège dans le cadre de l’Assemblée Parlementaire de l’OTAN pour continuer notre travail sur les enjeux sécuritaires du Grand Nord, région si essentielle à l’équilibre de l’Europe.

 

La France entretient de solides relations avec la Norvège, essentiellement dans les domaines de l’énergie et du développement durable. La Norvège est, en effet, le premier fournisseur de gaz de la France et l’un de nos principaux fournisseurs en pétrole. Nos relations économiques sont donc étroites et je suis heureuse que des fleurons de l’industrie française comme Total (deuxième producteur d’hydrocarbures en Norvège) ou GDF Suez (deuxième acheteur de gaz norvégien), mais également un grand nombre d’entreprises françaises (197 au dernier recensement du MAE) soient si bien implantés dans ce beau pays.

Mais la coopération ne se fait pas uniquement sur le plan économique, et la présence française en Norvège tient également beaucoup à l’excellence du réseau de coopération incarné par les quatre établissements que sont l’Institut français de Norvège à Oslo, son antenne à Stavanger, le lycée français René Cassin d’Oslo et le lycée français de Stavanger. Leurs équipes, compétentes et dynamiques portent haut l’image de la France. Les équipes consulaires s’acquittent de leur tâche avec de belles réussites puisque notre langue est la 3e la plus enseignée en LV2, derrière l’espagnol et l’allemand et que, depuis 2010, des sections norvégiennes existent dans trois lycées français, assurant une rapide mise en contact des jeunes de nos deux pays.

Avant d’attaquer les réunions OTAN, j’ai eu le grand plaisir de revoir, dès mon arrivée, nos deux excellents Conseillers consulaires de Norvège, Claire Ménard et Gérard Pignatel pour faire un point sur les relations Franco-norvégiennes et les attentes de nos 5000 compatriotes installés dans ce pays accueillant. Une soirée chaleureuse et studieuse dans le magnifique écrin du Grand Café construit en 1874 et où logent traditionnellement les lauréats du Prix Nobel de la Paix.

 

 

Le lendemain, lundi 7 mai, journée entière au Stortinget, le Parlement Norvégien, où j’ai présidé un séminaire passionnant de la commission que j’ai l’honneur de présider à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN. Comme toujours, nous avons bénéficié d’interlocuteurs de très haut niveau dont le ministre de la défense Frank Bakke Jense, un ancien collègue et ami de l’AP-OTAN, le Général Morten Haga Lunde (ci-contre), directeur des services de renseignement norvégiens, le chef d’état-major Roy Hunstock et les meilleurs autres spécialistes du pays en matière de cyberdéfense et de lutte contre le terrorisme.

 

Membre fondateur de l’OTAN, très engagée dans les instances multilatérales (7eme contributeur volontaire à l’ONU et le premier par habitant) la Norvège est très attachée à l’Alliance atlantique qu’elle considère comme le meilleur garant de la Sécurité, dans un contexte de tensions croissantes avec la Russie, sur l’Arctique, en prolongement de la crise ukrainienne et des activités de renseignement et d’influence russes. En 2014 elle a signé avec le Royaume-Uni, le Danemark et les trois Etats baltes une lettre d’intention en vue de la création d’une force expéditionnaire commune qui sera opérationnelle cette année et a décidé après le Brexit, de renforcer la coopération militaire avec le Royaume-Uni en matière de surveillance maritime. Les deux pays vont moderniser leurs capacités et la Norvège remplacera en particulier ses PC3 Orion. Elle souhaite également renforcer la coopération internationale de sécurité, notamment en matière de gestion civile et militaire des crises, du Contrôle des frontières extérieures, de police et de renseignement, d’intégration et de lutte contre la radicalisation, notamment par l’assistance humanitaire, l’aide au développement et l’assistance militaire dans les pays fragilisés aux marges méridionales de l’Europe.

 

La Norvège se donne les moyens de ses ambitions et consacre plus d’1,5% de son PIB à la Défense. Elle a ainsi bien intégré les enjeux liés au renouvellement des matériels militaires puisque ses efforts budgétaires servent, pour une importante part, au renforcement de sa capacité opérationnelle et à la dotation de nouvelles capacités de défense aérienne, via notamment l’achat de F-35 en remplacement des F-16, de nouveaux avions de patrouille maritime et d’un nouveau navire de ravitaillement sont considérables et en nette augmentation (+7% en 2017!) et, à titre d’exemple, 97 millions d’Euros y sont investis annuellement en Recherche et développement militaire. Il y a en effet dans ce pays une inquiétude profonde quant à la dégradation sécuritaire de la Région ces dernières années et la conviction que l’Ouest risque de perdre son avancée technologique face aux ambitions affirmées de nouveaux acteurs comme la Chine. Son pari industriel lui réussit aussi puisque la Norvège a en moins de dix ans plus que doublé ses revenus commerciaux dans le domaine et exporte aujourd’hui beaucoup de sa haute technologie de missiles vers les Etats-Unis et d’autres pays de l’OTAN et lancera le tout premier cargo autonome – avec applications militaires postérieures évidentes avant la fin 2018.

 

Beaucoup d’enseignements donc et qui seront précieux dans le cadre de l’examen du projet de Loi de Programmation Militaire à mon retour au Sénat. Comme je ne cesse de le souligner moi-même, la coopération en matière de renseignement est essentielle et notre sécurité collective est affaiblie par la rétention d’informations de certains pays jaloux de leurs prérogatives. Il nous faut donc développer des instruments de coopération plus efficaces.

 

Le soir-même nous partons pour la ville de Bodø, petite ville à 200 kilomètres au nord du Cercle Arctique où se trouve installé le quartier général des Forces de défense norvégiennes, quatre étages de bureaux et salles de réunion creusés à même la montagne pour une sécurité maximale au temps pas si lointain de la guerre froide.

 

Le 8 mai, mes collègues parlementaires et moi-même avons passé la majeure partie d’une journée intense au contact de la remarquable armée norvégienne. Modèle d’efficacité malgré son petit nombre de membres (moins de 15 700 personnes, mais déjà un très gros effort en rapport avec la taille du pays – 5millions d’habitants), l’armée norvégienne ne cesse de développer ses capacités -notamment en interoperabilité à l’international au sein de l’OTAN et/ou en solidarité avec une présence en Afghanistan de ses Forces spéciales depuis 2007 ainsi qu’en Irak et au Mali. La Défense norvégienne s’apprête d’ailleurs à accueillir sur son sol une opération d’une envergure exceptionnelle « Trident Juncture 2018 », exercice qui réunira plusieurs dizaines de milliers de soldats en provenance de 28 États -dont par exemple la Jordanie- ce qui mobilise évidemment beaucoup de ses ressources aujourd’hui.

J’ai également pu mesurer ce grand engagement des norvégiens pour leur défense en observant le fonctionnement du centre de surveillance maritime et aérien et je dois dire avoir été particulièrement impressionnée par l’esprit de civisme et le professionnalisme des jeunes gens choisis pour soutenir l’action des militaires norvégiens pendant une période de dix mois, avec des journées de 13 heures par jour et 14 jours d’affilée … Le tout sans émettre la moindre plainte et avec au contraire la fierté d’accomplir un travail dans l’intérêt du pays… Alors que nous sommes en plein débat sur le Service National Universel, voilà un bien bel exemple d’une jeunesse impliquée dans les affaires de son pays ! Bien plus qu’un service militaire au rabais, c’est vers la transmission des valeurs aux plus jeunes que nous devons tendre si nous voulons réellement stimuler le sentiment national.

 

Le lendemain, mercredi 9 mai, nous achevons notre mission sur la base militaire aérienne d’Evenes après une journée passée en mer pour des séminaires consacrés à la sécurité en mer et à l’environnement. J’y ai animé un débat avec Rolf Rødven, Secrétaire général exécutif du Programme de surveillance et d’évaluation de l’Arctique (PSEA) du Conseil de l’Arctique, l’instance intergouvernementale réunissant les huit pays circumpolaires, sur le réchauffement climatique et ses conséquences sur les ressources et les écosystèmes partout dans le monde, notamment en matière de défense et sécurité.
Jamais je n’aurais cru possible de tenir sous ces latitudes une réunion de ce type en plein air et avec aussi peu de neige sur les falaises dominant les fjords ….
C’est véritablement un avertissement pour nous tous. Les températures moyennes dans la région croissent deux fois plus vite qu’ailleurs, avec une projection alarmante de 4*C voire 6*C ces 30 prochaines années. La fonte du pergélisol (permafrost) qui stocke environ 50% du carbone du monde pourrait, en relâchant d’énormes volumes de méthane, avoir des conséquences dévastatrices.
Les experts norvégiens sont par contre persuadés que si nous appliquons totalement l’Accord de Paris en réduisant très sérieusement les émissions mondiales de gaz à effet de serre, la communauté internationale arrivera à stabiliser les températures de l’Arctique d’ici la seconde moitié du XXIème siècle … Nous avons une responsabilité envers les prochaines générations et le combat contre le réchauffement climatique doit être une priorité pour nos pays. J’ai d’ailleurs suggéré à mes collègues des 15 pays représentés que nous ayons tous dans nos parlements respectifs une stratégie d’évaluation de chaque projet ou proposition de loi en termes d’environnement, mais aussi une veille relative à tout ce qui pouvait être fait dans d’autres parlements sur le sujet et qui pourrait inspirer des initiatives législatives et une collaboration permettant d’améliorer les dispositifs déjà en place

 

Alors que mes collègues parlementaires retournent dans leur pays respectif, je préfère profiter des très longues journées d’au-delà du cercle polaire arctique pour faire un pèlerinage très personnel sur les lieux de la Bataille de Narvik. Quelle émotion, en ce jour suivant la date commémorative de la fin de la Seconde Guerre Mondiale, de se rendre sur le lieu de cette bataille si symbolique qui fut la toute première gagnée par les Forces Alliées en mai 1940 et reste un véritable modèle de coopération militaire internationale puisque sur le front norvégien, ce sont des troupes françaises, britanniques, polonaises et norvégiennes qui se sont alliées pour combattre les troupes allemandes supérieures en nombre et en équipement.

Je tiens également à remercier Tor Ragnar Akselsen responsable du Souvenir français à Narvik et le Colonel (er) Jacques Chauffour, Consul honoraire pour leur action au quotidien dans ce coin du bout du monde où ils œuvrent au quotidien pour faciliter la présence française et entretiennent l’indispensable travail de mémoire. Grâce à eux, j’ai pu déposer des gerbes tant sur la stèle érigée à la mémoire de nos 121 héroïques soldats français morts pour assurer la victoire des Forces Alliées contre le nazisme que me recueillir sur leurs tombes. La bravoure de ces soldats français, légionnaires et chasseurs alpins est un exemple de dévouement à la patrie qui mérite d’être mieux connue.

La bataille de Narvik est un véritable modèle de coopération militaire internationale puisque sur le front norvégien, ce sont des troupes françaises, britanniques, polonaises et norvégiennes qui se sont alliées pour combattre les troupes allemandes supérieures en nombre et en équipement.
Mais pourquoi une bataille à Narvik, aux confins des fjords, au début du second conflit mondial ? Dès les premiers jours d’avril 1940, l’Allemagne nazie avait envahi la Norvège afin de sécuriser le transport du fer suédois extrait de la mine de Kiruna (plus grande mine à ciel ouvert et souterraine de minerai de fer du monde). Le minerai transitait alors via chemin de fer jusqu’au port norvégien de Narvik, qui présentait le double avantage stratégique d’offrir un accès direct à la mer de Norvège et qui était le seul port praticable en hiver puisque les autres ports du nord de la Baltique étaient obstrués par les glaces. Or, en 1940, 50% des importations de fer de l’Allemagne, matière première indispensable pour la poursuite de la guerre, provenaient de Narvik.

Face à ces importants enjeux, un corps expéditionnaire de 35 000 hommes comprenant la Brigade de Haute Montagne, tout nouvellement formé et confié au commandement du Général Béthouart est envoyé sur le front norvégien. Grâce aux habiles manœuvres tactiques du général français, les troupes alliées prennent Bjervik, ville proche de Narvik grâce à un débarquement massif. La 13e demi-brigade de Légion Étrangère parvient à gagner les hauteurs et effectue une jonction avec les chasseurs alpins et les troupes norvégiennes. Les troupes alliées peuvent alors prendre Narvik et repousser les soldats allemands du Général Dietl jusqu’à la frontière suédoise.

 

Si cette bataille n’eut pas un rôle tactique majeur pour l’issue de la seconde guerre mondiale, elle présenta néanmoins, outre son impact positif sur le moral des troupes, un double avantage :

  • D’une part, elle fut un magnifique exemple des capacités des armées européennes, et notamment françaises et britanniques à travailler de concert et est encore aujourd’hui citée comme modèle de coopération militaire
  • D’autre part, de nombreux navires allemands furent neutralisés ou détruits durant cette campagne, ce qui, aux dires de beaucoup d’experts, empêcha Hitler durant toute la durée du conflit de mettre sur pied un débarquement massif en Angleterre tel qu’il l’avait prévu.