Déc 03 2018

PLF 2019 – crédits « Aide publique au développement »

Extrait du compte-rendu intégral de la séance du 3 décembre 2018 :

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour 2019, le budget de l’APD connaît une hausse substantielle, et je m’en félicite. Mais n’est-ce pas là une augmentation en trompe-l’œil ?

Le chiffre de 1 milliard d’euros d’augmentation est impressionnant, mais il s’agit d’autorisations d’engagement. En crédits de paiement, cette hausse se limite à 130 millions d’euros.

Cela masque un recul grave. La taxe sur les transactions financières, jusqu’alors affectée à 50 % à l’APD, ne le sera plus qu’à hauteur de 32 %. Si cette déviation du flux de la TTF est, cette année, compensée budgétairement, donnant la possibilité de communiquer sur une augmentation de budget largement artificielle, rien ne dit que tel sera le cas dans le futur. Le risque est d’entériner le principe d’une baisse de l’affectation de ce financement innovant. Pour aller plus loin dans la recherche de financements innovants, pourquoi ne pas, par exemple, taxer les cargos, qui acheminent plus de 90 % des marchandises de la planète et dégagent une pollution massive ?

Il y a un certain manque de réalisme dans la réaffirmation de la cible de 0,55 % du RNB en fin de quinquennat, objectif déjà peu ambitieux par rapport à nos engagements anciens de 0,7 %, auxquels nombre de nos partenaires européens sont déjà parvenus. Il risque fort de ne pas être tenu, car la trajectoire proposée fait reposer l’essentiel de l’effort sur la fin du quinquennat. Nous étions à 0,43 % en 2017, nous ne serons qu’à 0,44 % en 2019, loin de l’objectif affiché.

Je salue en revanche le début de rééquilibrage entre dons et prêts. Octroyer des prêts n’est pas la raison d’être de notre APD, surtout quand il s’agit de pays ayant les moyens de financer leur propre développement, voire d’investir dans les pays du Sud, comme la Chine, encore fortement bénéficiaire de notre APD, qui investit massivement en Afrique sans se préoccuper de normes sociales ou environnementales. Les aides sous forme de dons, privilégiées par les agences de développement britanniques et allemandes, favorisent des projets en faveur de biens communs comme l’environnement, la santé ou l’éducation.

Cela fait des années que je plaide pour un renforcement du soutien français à l’éducation, notamment celle des filles, et je ne peux que me réjouir qu’il soit enfin élevé au rang de priorité. Les bienfaits des investissements dans l’éducation sont en effet nombreux, tant en matière de développement économique que d’égalité femmes-hommes, de santé, de lutte contre le changement climatique ou de limitation de la pression migratoire.

Mais l’APD délivrée sous forme de dons est aussi plus coûteuse pour le contribuable, d’où une exigence accrue en matière de contrôle et de recevabilité, surtout au regard des contraintes budgétaires qui pèsent sur l’ensemble des autres budgets de l’État.

Pour renforcer le contrôle et l’évaluation, nous avons besoin de définir avec beaucoup plus de rigueur des indicateurs assortis de cibles chiffrées. C’est notamment indispensable pour évaluer notre impact sur des enjeux transversaux tels que l’égalité de genre ou la cohérence de nos actions en matière d’empreinte carbone.

Autre enjeu sur lequel notre budget manque de vision à long terme : la francophonie. La France ne consacre que 32 % de son APD à des pays francophones – presque deux fois moins que ce que le Royaume-Uni flèche vers son espace géolinguistique. L’ensemble des seize pays identifiés comme prioritaires, tous situés en Afrique, ne représentaient en 2017 que 7,2 % des engagements de l’AFD à l’étranger ! Une plus grande implication dans l’aire francophone serait doublement vertueuse, puisqu’elle permettrait de renforcer notre ancrage dans une zone en forte croissance tout en nourrissant cette dernière.

Dans un contexte de forte concurrence internationale, notamment chinoise, il est important de jouer toutes nos cartes. Je défendrai tout à l’heure un amendement visant à sécuriser des financements pour notre audiovisuel extérieur.

J’estime également qu’un déploiement financier de l’AFD réalisé sur fond d’étranglement budgétaire du Quai d’Orsay est contre-productif. Si nous voulons sortir du saupoudrage et du court-termisme, nous devons intégrer notre aide au développement dans un dialogue diplomatique de qualité. À cet égard, le financement de 50 millions d’euros au gouvernement gambien, qui n’est pas le meilleur exemple de démocratie, apparaîtrait presque comme une provocation au regard des coupes budgétaires drastiques imposées à notre ministère des affaires étrangères pour 2019.

Je conclurai simplement en rappelant combien nous devons être vertueux et combien notre aide au développement devrait aussi servir d’élément déterminant dans notre action diplomatique extérieure, avec un contrôle accru. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)