Déc 01 2018

PLF 2019 – crédits « Défense »

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le vote des crédits de la défense est toujours un moment singulier, incontournable, car c’est un moment de vérité budgétaire et politique. C’est l’occasion de vérifier si le Gouvernement respecte ses engagements en allouant les moyens nécessaires à l’application de lois que nous votons.

La question est simple : le budget des armées pour 2019 est-il en adéquation financière avec la loi de programmation militaire votée il y a quatre mois, après un vrai travail de concertation ?

Madame la ministre, nous savons votre engagement personnel dans la recherche de crédits à la hauteur des ambitions françaises en matière de défense, ambitions imposées par nos responsabilités internationales et par une sécurité mondiale rythmée par une instabilité géopolitique croissante.

Pour autant, madame la ministre, je suis au regret de vous dire que, malheureusement, votre détermination n’a pas suffi ! Ce budget devait incarner « l’antichambre » de la première année de la loi de programmation militaire. Or, une fois de plus, nous avons assisté au scénario « gel de crédits, dégel et crispation sur toutes les travées »…

Comme l’a très bien exprimé notre collègue rapporteur spécial de la commission des finances Dominique de Legge lors de son examen, le projet de loi de finances rectificative pour 2018 est un budget de renoncement : il se traduit par une annulation de 404 millions d’euros, qui affecte principalement le programme 146 dédié aux équipements.

Pourtant, vous nous aviez promis que l’heure était à la réparation et à la préparation de l’avenir. Ces annulations augurent mal de l’entrée dans la nouvelle LPM, alors même que la France n’a pas réduit la voilure des OPEX.

De fait, la problématique du maintien en condition opérationnelle, ou MCO, reste centrale, car l’usure des matériels et la rudesse des théâtres exigent un rythme de remplacement plus soutenu. Il y va de la sécurité de nos soldats.

En outre, nul ne peut le nier, ces annulations de crédits auront des répercussions sur la base industrielle et technologique de défense et sur le tissu des petites et moyennes entreprises qui participent à la croissance économique et pèsent positivement dans la balance des exportations. Il nous faut d’ailleurs réfléchir aux moyens de mieux les protéger, par exemple en écartant des appels d’offres les entreprises étrangères, dès lors qu’ils touchent à des domaines très sensibles.

Que dire également de la fin de la solidarité interministérielle dans le financement des OPEX ? Que penser des déclarations du Premier ministre, selon lesquelles les armées peuvent assumer intégralement les OPEX ?

Cela m’amène à deux remarques. La fin de l’interministériel, c’est la négation de la LPM. Est-ce là toute la considération pour le pouvoir législatif et la représentation nationale ? Ensuite, l’interministériel n’est pas uniquement une question comptable : c’est aussi un partage du coût de la sécurité et de la défense de la Nation entre tous les ministères. En termes symboliques, ce n’est pas un détail.

Peut-être me répondrez-vous que des reliquats de crédits de personnel, à hauteur de 150 millions d’euros, permettront d’amortir ces annulations ? Malheureusement non, car cette non-consommation incarne parfaitement le défi de la politique de ressources humaines, auquel le ministère doit faire face : recruter, rémunérer et fidéliser.

C’est particulièrement vrai dans les domaines du renseignement et de la cyberdéfense. Les data, leur exploitation et leur protection représentent un enjeu économique primordial. En outre, comment être attractif dans un secteur où les salaires dépassent ceux des généraux ?

Certes, la réserve citoyenne pourrait offrir un début de réponse, mais encore faudrait-il mieux recenser et utiliser les talents des réservistes. Madame la ministre, je profite de cet instant pour vous demander de nous éclairer sur l’état de la réserve citoyenne, qui pourrait être mieux utilisée, en particulier à l’étranger pour l’organisation de la Journée défense et citoyenneté. J’aurai l’occasion d’y revenir.

Pour continuer sur les questions technologiques, je voudrais attirer votre attention sur l’importance de notre souveraineté numérique.

Nous pouvons nous féliciter d’une certaine prise de conscience qui a eu lieu sur ce sujet et des efforts qui sont consacrés à l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, l’ANSSI, mais il convient de les accroître tant en matière de formation que d’investissement. À l’heure où les « rançongiciels » se développent, nous devons réfléchir à l’utilisation des logiciels libres dans les services et par les opérateurs sensibles.

La dépendance de la défense envers Microsoft, j’ai déjà eu l’occasion de le dire et de l’écrire, est un handicap, voire une menace pour cette souveraineté numérique que nous devons construire.

À cet instant de la discussion et en dépit du constat négatif sur la réalité de votre budget et ses lourdes conséquences sur les armées, je voudrais, madame la ministre, vous remercier pour votre action vis-à-vis des soldats et de leurs familles.

Il me paraît important de rappeler qu’il n’est point de défense sans ressources humaines. Certes, nous rendons très régulièrement un hommage appuyé et solennel aux hommes et aux femmes de la défense. Mais ces hommages et cette reconnaissance doivent se traduire par des actes.

Nous ne pouvons donc que vous soutenir concernant le plan famille mis en place l’année dernière et qui devrait monter en puissance. Il y a en effet derrière chaque soldat une famille pour qui le quotidien est souvent difficile.

Madame la ministre, vous l’aurez compris, je suivrai, avec mon groupe, l’avis de la commission des finances, qui a conclu à une position de sagesse, sagesse responsable, mais empreinte de lassitude et de lourdes inquiétudes concernant l’environnement et toute la communauté de défense.

En guise de conclusion, je veux vous donner rendez-vous l’année prochaine, madame la ministre. Cela vous laisse une année pour réussir la première marche de la loi de programmation militaire et sur laquelle nous serons plus que vigilants.