2019 a débuté dans un climat de grande incertitude. L’année 2018 s’était terminée dans les affres des manifestations des Gilets Jaunes et des violences corollaires. La presse internationale relaie des images et des mots très durs. Nos compatriotes de l’étranger doivent se demander ce qui peut bien se passer en France. Comment en est-on arrivé là ?
Certes certaines maladresses et rigidités dans la politique gouvernementale peuvent expliquer l’exaspération populaire: hausse du prix de l’essence, accumulation d’une série de taxes.. Mais le « ras le bol » qui s’est exprimé au début du mouvement de protestation va bien au-delà d’une simple réaction à la pression fiscale. Beaucoup de nos compatriotes ont tout simplement l’impression de ne plus être entendus, d’avoir perdu le contrôle de leur destin.
La grande historienne de la Révolution française, Mona Ozouf, dans le premier numéro de l’excellente revue publiée par Eric Fottorino, Zadig, se penche sur les similitudes avec la Révolution Française, mettant en garde : « Les sans-culottes se disaient le peuple pur, par opposition aux représentants tenus pour impurs. Mais Michelet écrit très justement qu’en 1793, le peuple est rentré chez lui. Ce sont les activistes qui restent, pas le peuple… ». Mais le moteur de tout ceci est la peur. C’est une peur, une immense peur, quasi irrationnelle, qui s’est exprimée. Peur et violence vont souvent de pair. Dans un livre publié il y a près de 30 ans, Le Village des Cannibales, l’historien Alain Corbin se penche sur l’affaire d’Hautefaye, quand le 16 août 1870 en pleine guerre franco prussienne, la population apeurée prend un homme pour un prussien et le lynche. On peut presque déceler cela peu de cela dans les actes de violence des Gilets Jaunes.
Face à ce mouvement venant des profondeurs du pays, l’exécutif est apparu totalement désarçonné. Quelle réponse apporter ? Quelles mesures prendre ?
Ces hommes et ces femmes, revêtus de leurs gilets jaunes campant sur les rond points sont le visage d’une France délaissée depuis de très nombreuses années. Les gouvernements successifs se sont inquiétés du destin de nos banlieues, mais qu’a-t-on fait pour cette France périphérique ? Nicolas Sarkozy avait perçu la nécessité de distinguer « ceux qui se lèvent tôt» pour travailler et dont le labeur est souvent mal récompensé. Défiscaliser les heures supplémentaires fut une mesure phare et judicieuse de son quinquennat Mais la crise est passée et Nicolas Sarkozy a dû faire face à des urgences incontournables. Son successeur, lui, a détruit ce qui avait été fait et a détourné les yeux. Qu’a t-il fait pour ceux qu’il appelait les « sans-dents » ?
Si François Hollande a négligé les « sans-dents », son successeur lui s’est réveillé avec de nouveaux « sans-culottes ». La position du Président de la République est difficile. Père de la Nation, il doit écouter ceux qui crient leur souffrance et il doit panser les plaies. On attend de lui qu’il guérisse les écrouelles. « Le Roi te touche, Dieu te guérit », cette formule immémorable prononcée par nos Rois après leur sacre, est ancrée dans l’inconscient de nombreux Français. Or le Roi est nu. Lui s’en rend compte. Lui sait que la dette publique au sens des critères de Maastricht s’élève aujourd’hui à 2 358,9 milliards d’euros. Nos compatriotes pas encore, habitués à tout attendre de l’Etat.
Chef de l’Etat, Emmanuel Macron avait aussi l’obligation de faire restaurer l’ordre. Le choix d’un grand débat national a été une réponse intelligente à cette exigence d’écoute, de reconnaissance, de dignité. Parlementaire des Français de l’étranger j’ai activement milité pour que nous y participions en tant que tels. Cette consultation qui n’était pas évidente à première vue, a finalement recueilli nombre de contributions. Merci à Jean-Yves Le Drian et à Jean-Baptiste Lemoyne pour leur écoute.
En ce début de printemps, l’appel à la confiance prononcé le 22 octobre 1978 par un jeune pape polonais résonne encore en moi : « N’ayez pas peur ! ». Aujourd’hui, alors que les populistes, jouent sur les peurs – immigration, mondialisation etc… – et animent les haines, l’appel du Pape Jean-Paul II à l’espérance et à l’audace doit nous animer. Le pire n’est jamais certain. Il nous revient de construire et de montrer le chemin.
Joëlle Garriaud-Maylam, avril 2019