Avr 20 2019

Irak (14 au 17 avril)

Après une période d’échanges économiques bilatéraux Irak-France intensifs dans les années 1970-80, ces derniers ont diminué sous l’effet des sanctions économiques dans les années 1990. Toutefois, dans le cadre du Club de Paris, la France a annulé 4,8 milliards d’euros de dettes irakiennes entre 2005 et 2008, puis octroyé un prêt de 430 millions d’euros au budget de l’Irak, garanti par l’Etat.

Arrivée à Erbil le 15 avril au matin dans le cadre d’une mission de la commission nationale pour l’élimination des mines antipersonnel (CNEMA), j’ai pu découvrir à quel point les changements sont visibles au Kurdistan irakien, quatre ans après mon déplacement d’avril 2015 à la rencontre des réfugiés Chrétiens et Yézidis. On estime à un minimum de 60 000 les victimes des mines au Kurdistan et plus de 200 000 km2 restent encore à nettoyer et sécuriser.

 

Intervenue en séance le 22 janvier 2019  pour soutenir la proposition de résolution de Bruno Rétailleau visant à créer un mécanisme de résolution pour la justice transitionnelle en Irak, je suis convaincue qu’au-delà de cet aspect de soutien juridique, essentiel au développement de la zone, il ne faut pas oublier le danger potentiel représenté par la présence de projectiles non désamorcés et explosifs fixes dans les sols que foulent chaque jour des familles entières.

 

Représentante du Sénat au sein de cette commission présidée par Yves Marek sous la présidence de l’ambassadeur honoraire Gérard Chesnel, j’ai eu l’honneur de participer aux réunions de travail avec le ministre en charge des mines Siraj Barzani et ses adjoints, puis avec le ministre de l’intérieur, également ministre des Peshmergas, Abdul Karim Sultan Sinjari. Nous avons rencontré à l’Institut français les responsables des ONG en charge du déminage dans le pays : UNMAS, HAMAP, Handicap International, GICHD, FSD, ou encore Géode, et j’ai eu le plaisir de retrouver Philippe Houliat, président de Global EOD experts (Géode), que j’avais rencontré en 2006 au Bénin lorsqu’il y dirigeait le centre militaire français de formation au déminage de Ouidah.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En marge de la mission déminage, j’ai eu le privilège de rencontrer à l’institut français d’Erbil un de mes héros, Idris Kocho.  Idris est un  homme remarquable qui, après avoir perdu presque toute sa famille assassinée par Daesh, n’a cessé de lutter pour racheter un par un des Yezidis encore prisonniers et/ou esclaves de Daesh.

 

J’ai eu également le plaisir d’admirer à l’Institut la très émouvante exposition “Voile blanc sur larmes noires” de Sivan Salim, qui a photographié sous un voile blanc et une robe de mariée 35 jeunes filles yézidies enlevées et violées par Daesh. Un voile blanc symbole de cette pureté virginale qui était la leur avant l’horreur qu’elles ont subie jour après jour avant leur libération. Un voile blanc qui les protège partiellement du regard curieux, voire malsain des autres, la pudeur étant une caractéristique culturelle des jeunes femmes yézidies, comme j’avais pu le constater lors de mes rencontres avec des rescapées quand je m’étais rendue au Kurdistan en avril 2016 (je m’étais d’ailleurs refusée à les photographier).

A ce sujet, je veux rappeler que Myriam Benraad, politologue, spécialiste de l’Irak et du monde arabe, a été auditionnée le 3 avril par la Commission des affaires étrangères dont je suis Secrétaire au Sénat, sur les enjeux et les perspectives de la reconstruction de l’Irak. Vous pouvez retrouver son intervention ici.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Devant l’Institut français d’Erbil avec, de droite à gauche, le directeur de l’institut français d’Erbil, le Consul général adjoint au 2eme plan, Idris Kocho, Sivan Salim et son mari.

 

Nous nous sommes ensuite rendus à Mossoul, ville martyre dans la plaine de Ninive. Cette ville, la deuxième d’Irak, était heureuse et prospère jusqu’à sa prise par les forces de Daesh et sa proclamation comme capitale du Califat par Abou Bakr al-Baghdadi en juin 2014. S’ensuivit l’exode de près d’un million de ses habitants, ses 15 000 Chrétiens étant obligés de se convertir ou de s’exiler, tous leurs biens étant pillés, les réfractaires étant massacrés. Libérée en juillet 2017 après une bataille de huit mois par les forces de la coalition, elle a été en grande partie (les quartiers ouest, le long du fleuve Tigre et la vieille ville) détruite par les bombardements aériens et truffée de mines et d’engins explosifs improvisés (IED) par les djihadistes.

 

Avec l’équipe des démineurs des Nations-Unies (UNMAS) nous nous sommes rendus à l’hôpital Al-Shifa, l’ancien quartier général de Daesh. Près de 3000 mines et IED y ont été trouvés par les équipes de l’UNMAS. Plus de deux ans après la libération, le travail de décontamination est loin d’être fini et les équipes de l’UNMAS forment de nombreuses personnes (dont beaucoup de femmes) pour aller dans les écoles faire de la prévention. Mais, comme le maire nous l’a signalé, les populations s’impatientent, la reconstruction ne pouvant se faire qu’après une décontamination totale alors que celle-ci devrait prendre des années. La France soutient largement les efforts de déminage et s’applique aussi à soutenir la reconstruction et la société civile. Elle a ainsi ré-ouvert, avec l’aide de la Région Île-de-France, un institut français à Mossoul et une filière d’enseignement du français à l’université.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Devant la mairie de Mossoul

J’ai eu l’occasion de rencontrer le président du parlement irakien Mohammed Al-Halbussi, ancien gouverneur de Anbar, musulman sunnite comme le veulent les accords de partage politique mais soutenu par les pro-Iran. Il aura la lourde tâche d’accompagner le processus de stabilisation encore très fragile du fait de nombreuses tensions régionales et mouvements de contestation et de diriger un parlement éclaté et fortement polarisé entre deux mouvances, celle de Moqtada Al-Sadr et des partis laïcs de la gauche irakienne et celle du “Fateh”( la “Conquête”) des proches de Téhéran.

Ensuite, nous avons été accueillis au Ministère de l’Intérieur par les généraux responsables de la campagne contre les mines et les IED (EEI en français). Un « musée de l’horreur » a été installé au sein du ministère pour présenter les très nombreux spécimens d’EEI inventés par des djihadistes à l’imagination aussi débordante que macabre (des jouets -poupées ou voiturettes – minés pour tuer les enfants !) mais ayant aussi une vraie sophistication technique pour certains d’entre eux, bien loin des classiques smartphones utilisés communément en début de guerre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’étape suivante du parcours passait nécessairement par le terrain. Nous nous sommes rendus sur les champs de mines de Falloujah, ville rebelle et de sinistre mémoire, là où les combats entre les djihadistes et les forces irakiennes et de la coalition ont été les plus violents, avec les démineurs de l’UNMAS. Là, les terres et les maisons -ou ce qu’il en reste après les bombardements- sont encore largement minées. La visite de terrain se tint avec des impératifs sécuritaires draconiens et un dispositif très renforcé, Falloujah restant encore un nid de djihadistes et les attentats suicides n’y étant pas à exclure…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A l’ambassade, aux allures de forteresse de rrière ses barbelés et hautes murailles de béton en plein secteur rouge de Bagdad, quatre ambassadeurs et deux parlementaires étaient réunis, sans doute pour la première fois au même moment, et avec la présence symbolique et tutélaire d’un cinquième ambassadeur, Bernard Bajolet, celui qui avait réouvert l’ambassade en 2004 et dont les traits ont remplacé ceux de Bonaparte dans le tableau derrière nous, copie irakienne du chef d’œuvre de David.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De gauche à droite L’ambassadeur Yves Marek, directeur général de la CNEMA (commission nationale pour l’élimination des mines anti-personnel), l’ambassadeur de France en Irak Bruno Aubert, moi-même, le député Fabien Gouttefarde, l’ambassadeur honoraire Gérard Chesnel, président de la CNEMA, et l’ambassadeur en mission Pascal Maubert .

 

Enfin, avant de quitter l’Irak, nous avons visité une petite plateforme de start-ups irakiennes ; « The Station ». Beaucoup rêvent de suivre l’exemple de Miswag, startup irakienne qui en 2018, quatre ans après sa création, a annoncé un bénéfice de plusieurs centaines de milliers de dollars.

Dans un pays où le taux de chômage parmi les jeunes atteint les 17 % chez les garçons et les 27 % chez les filles, et où 60 % de la population a moins de 25 ans, et qui est classé 168e sur 190 dans l’index de la Banque mondiale des pays offrant un environnement propice à l’investissement, c’était un vrai réconfort de rencontrer des jeunes gens qui ont foi en leur pays et font un pari sur l’avenir en s’investissant dans une start-up comme celle-ci, en pleine zone rouge.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les jeunes irakiens peuvent y installer un bureau, se documenter, apprendre de nouveaux métiers, s’ouvrir au monde, développer des connaissances lors de colloques ou conférences (l’ambassade de France y a ainsi organisé il y a quelques semaines sa « Nuit des Idées » très réussie). Les jeunes entrepreneurs y ont même récemment ouvert une piscine, avec l’espoir qu’un jour, garçons et filles puissent s’y baigner ensemble…
J’ai tenu en tout cas à personnellement féliciter ces jeunes gens courageux, dont le prochain défi est d’installer des lieux d’accueil de ce type dans d’autres villes du pays.
La structure, créée avec un souci d’environnement et de durabilité a été construite en quatre mois seulement et n’a certainement rien à envier en termes de qualité et d’esthétisme à ce qui se fait dans nos pays occidentaux. Après des années de guerre, de violences et de destructions, et malgré l’insécurité qui règne encore dans Bagdad, c’est un véritable pied de nez au terrorisme, le symbole d’un espoir, celui d’un retour à la vraie vie…