Août 04 2015

Le droit de vote des expatriés, un acquis précieux mais fragile

vote-par-internetMa tribune publiée dans le Huffington Post :

Les Canadiens expatriés vivant depuis plus de cinq ans à l’étranger ne pourront pas voter aux élections fédérales. La Cour d’appel de l’Ontario vient de donner raison au gouvernement fédéral. Cette décision nous rappelle une nouvelle fois combien les droits de citoyenneté des expatriés sont un bien précieux mais fragile.

En vertu des principes de souveraineté et de réciprocité, entraînants des réticences, voire un refus de laisser des élections étrangères être organisées sur leur territoire, de nombreux états conditionnent les droits civiques à la résidence sur le sol national. C’est d’ailleurs cet argument qui vient d’être réitéré par les juges canadiens, qui affirment que « le contrat social au Canada fait en sorte que ses citoyens sont soumis aux lois canadiennes et qu’ils ont voix au chapitre pour les faire adopter par l’intermédiaire de leurs élus » et voudraient faire croire, par un syllogisme biaisé , que les expatriés seraient peu concernés par les lois nationales et n’auraient donc pas à participer aux élections fédérales.

La mondialisation n’a guère ébranlé l’inertie des architectures politiques. Malgré l’accroissement de la mobilité internationale des citoyens et le développement de nouvelles technologies permettant aux expatriés de demeurer informés et actifs dans la sphère politique de leur pays d’origine, une vision restrictive de la citoyenneté perdure. C’est en vain que l’un des juges canadiens a rappelé que certaines lois nationales (notamment en matière fiscale) affectaient aussi les expatriés, que les diplomates et militaires canadiens pouvaient, eux, conserver leur droit de vote quelle que soit la durée de leur séjour à l’étranger… et qu’il semblait absurde de supprimer le droit de vote aux expatriés tout en le maintenant aux meurtriers en série.

Ce nouvel épisode fait écho à un vent de contestation de la citoyenneté expatriée.

Au plan mondial, la France a longtemps fait figure de pionnière et d’exception en matière de représentation de ses ressortissants établis à l’étranger.

Des députés des colonies avaient été institués par Colbert pour représenter les ressortissants français auprès du Consul. Certains iront aussi siéger à l’Assemblée en 1790 et 1793; après la Seconde Guerre mondiale, la France a été le tout premier état à créer, dès 1948, une structure institutionnelle consacrée à la défense des intérêts de ses expatriés, puis à inscrire dans sa Constitution le principe de leur représentation au Parlement (au Sénat dès 1958, à l’Assemblée nationale depuis 2008). Nombre d’états lui ont emboîté le pas, dont certains tout récemment. Ce n’est ainsi qu’en 2006 que l’Italie, la Slovaquie ou le Mexique et, en 2014, l’Afrique du Sud, ont pour la première fois permis la participation de leurs expatriés à un scrutin législatif…

Ces avancées s’accompagnent de crispations et de reculs. Ainsi, au Royaume-Uni, le délai pendant lequel des ressortissants établis à l’étranger conservent leurs droits civiques a été réduit en 2000 de 20 à 15 ans. Plusieurs autres Etats européens (Chypre, le Danemark, l’Irlande, Malte, l’Autriche et l’Allemagne) appliquent également une législation entravant les droits civiques de leurs ressortissants vivant à l’étranger – même dans un autre Etat membre. Cela a amené la Commission européenne à prendre position, au printemps 2014, par la voix de Viviane Reding, qui s’est inquiétée que les expatriés soient traités en « citoyens de seconde zone » et a appelé les États membres à autoriser leurs citoyens établis à l’étranger à conserver leur droit de vote pour les élections nationales… s’ils montrent un intérêt continu dans la vie politique de leur pays d’origine.

Si les Français de l’étranger, avec leurs représentants dans les deux chambres et leurs propres élus locaux, sont des privilégiés par rapport à la plupart de leurs homologues expatriés, leurs droits civiques, en dépit des apparences, restent fragiles. L’abstention endémique pourrait finir par en avoir raison. La récente réforme de l’Assemblée des Français de l’étranger, qui s’est accompagnée d’une restriction des moyens des élus locaux des expatriés, n’incite guère à l’optimisme. Pour désorganiser une institution afin de tenter de prouver son inefficacité, on ne s’y prendrait pas autrement. Quant à la représentation des expatriés au Parlement (encore incomplète, puisque les expatriés n’ont pas de représentation spécifique au Parlement européen), elle est régulièrement remise en cause par voie de presse et a même été attaquée par la Commission Jospin.

En temps de crise, la tentation du repli hexagonal est forte. Elle serait pourtant contraire aux évolutions de notre société et à notre intérêt national. Avec l’accroissement des mobilités internationales, nourrir des liens forts avec la France est plus que jamais indispensable, tant pour notre diplomatie que pour notre commerce extérieur.

Pour en savoir plus, mes précédentes contributions sur ce sujet :