Co-rapporteur de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances sur les femmes victimes de la traite des êtres humains, je me suis rendue dans la « jungle » de Calais avec plusieurs collègues.
Le drame de la traite touche en effet en tout premier lieu les femmes et les enfants, qui représenteraient 80% des 2,5 millions de nouvelles victimes chaque année. Après un rapport sur les mineurs isolés roumains en 2010, j’avais l’an dernier présenté à Istanbul, dans le cadre du Sommet Economique Eurasien, une réflexion sur les moyens juridiques et sociaux de combattre ce fléau. Je n’aurais alors pas cru que c’est en France que je serais confrontée de manière aussi abjecte aux conséquences directes massives de la traite sur des milliers de femmes.
Bien qu’ayant visite de nombreux camps de réfugiés dans le monde (réfugiés Afghans au Pakistan, réfugiés irakiens en Syrie, réfugiés syriens en Jordanie…) rien ne me préparait à ressentir un tel choc devant l’horreur de la jungle de Calais, où 4 500 personnes s’entassent dans des tentes de misère au milieu d’une ancienne décharge d’une saleté effroyable (ce sont pourtant 15 tonnes de détritus qui sont évacués chaque semaine par Acted) dans l’espoir d’un passage, un jour, vers l’eldorado britannique. Comme Zahia, une syrienne de 24 ans, dont le mari a réussi à rejoindre l’Angleterre depuis la Belgique et qui, depuis des mois, passe chacune de ses nuits à marcher les 7kms qui séparent la jungle du terminal dans l’espoir de trouver un camionneur compatissant qui lui fera franchir le Channel. Comment supporter une telle misère, une telle indignité, dans notre pays, au 21ème siècle? Dans aucun autre camp au monde je n’ai vu une telle saleté, un tel dénuement, une telle puanteur. Il faut saluer le travail des ONG et des bénévoles, et je pense en particulier à ceux de France Terre d’asile ou du Secours catholique. Mais l’encadrement est très insuffisant pour pallier l’insalubrité et le dénuement et protéger les plus faibles. Un seul repas est servi par jour, les quelques rares WCs sont inaccessibles de 19h au lendemain midi, et on ne trouve qu’un seul point d’eau avec 3 robinets pour les milliers de migrants sur la lande. Certes des containers et de vraies tentes ont été installés récemment pour abriter 400 femmes et enfants au centre Jules Ferry, où se fait la distribution des repas. Mais beaucoup ne souhaitent pas s’y rendre, par peur d’être fichées par l’administration, pour rester avec leur partenaire ou, pire encore, pour glaner quelques euros par la prostitution (3 € la passe d’après ce que m’a dit l’un des bénévoles du camp).
La situation est explosive, les réseaux de passeurs de plus en plus agressifs, et le risque sanitaire énorme.
Face à ce drame humain, la compassion et l’aide sociale sont indispensables (et notamment une extension du centre Jules Ferry et/ou la mise en place de préfabriqués, bennes à ordures, goudronnage des chemins, stock de médicaments, infirmerie sur place) mais clairement pas suffisantes. Les causes structurelles sont à examiner, d’où la réflexion à mener sur la question de la traite. Seuls un démantèlement des réseaux de passeurs (plusieurs centaines auraient été fichés en 2015), par une politique pénale rigoureuse, permettrait d’éviter un désastre.
Il faut pour cela une vraie coopération avec le Royaume-Uni et l’Europe pour l’instant plus que lacunaire. Ce problème n’est pas seulement celui des Calaisiens, il est l’affaire de tous.