Sep 16 2013

Egalité femmes-hommes… faire du neuf avec du vieux !

En tant que vice-présidente de la Délégation aux Droits des Femmes du Sénat et membre du Haut Conseil pour l’Égalité entre Femmes et Hommes (HCEFH), je ne peux que saluer l’inscription à l’ordre du jour du Parlement d’un nouveau projet de loi contre les inégalités entre femmes et hommes.

Malgré de très nombreux progrès législatifs ces dernières années (loi sur l’égalisation de l’âge du mariage, loi sur la parité dans les instances dirigeantes des entreprises, loi de 2010 sur la lutte contre les violences conjugales, diverses dispositions favorisant la parité électorale, etc.), force est de constater la persistance de graves inégalités. Le salaire des femmes demeure inférieur de 25% à celui des hommes et leur pension de retraite est en moyenne inférieure de 42 % à celle des hommes ; trois quarts des travailleurs pauvres sont des femmes, trois quarts des parlementaires français sont des hommes ; et la violence conjugale, largement sous-déclarée, est loin d’avoir été éradiquée.

Si les ambitions de ce projet de loi sont louables, il s’agit davantage d’un catalogue de mesures hétéroclites que d’un texte global créant un cadre cohérent pour  mieux intégrer les différents leviers de lutte contre les inégalités – cette faiblesse a d’ailleurs été soulignée par le HCEFH. Certaines mesures risquent d’être contreproductives (par exemple le raccourcissement de la période de versement du complément de libre choix d’activité si le père ne prend pas au moins 6 mois de congé parental) tandis que d’autres sont clairement insuffisantes.

Ainsi, la lutte contre la précarité féminine n’est abordée qu’à travers la question des pensions alimentaires… et cet unique enjeu est traité avec un manque de réalisme consternant.

L’ambition affichée est de « créer une garantie publique » contre ces impayés, mais :

  • Aucun dispositif réellement novateur n’est proposé : à l’heure actuelle, un parent ne percevant pas la pension due par son ex-conjoint pour lui ou leurs enfants peut déjà se tourner vers la justice ou demander à la CAF de le faire à sa place, et il existe déjà une « allocation de soutien familial » (ASF)… Rien dans la loi ne laisse espérer un perfectionnement effectif du dispositif actuel de recouvrement.
  • L’adéquation entre les objectifs assignés et les moyens humains et matériels alloués semble donc complètement irréalisable. La responsabilité des CAF dans le recouvrement des pensions alimentaires est censée être renforcée alors même que celles-ci – déjà tellement débordées qu’elles sont contraintes de fermer leurs bureaux au public plusieurs jours par semaine – sont menacées de subir de nouvelles coupes budgétaires. Le recouvrement nécessite un important travail de coordination entre divers organismes, et notamment une interconnexion des fichiers sociaux et fiscaux, pour identifier les débiteurs de mauvaise foi : cela ne correspond pas au cœur de métier de la CAF.
  • La création d’une ASF différentielle (la CAF versant un complément aux foyers dont la pension alimentaire est inférieure au montant de l’ASF) ne résout en rien le problème d’une immense majorité de familles monoparentales : actuellement le montant de l’ASF est dans 86% des cas inférieur à la pension due ! Il serait donc bien plus juste socialement (et bien moins lourd pour nos finances publiques) de concentrer les efforts sur l’amélioration des outils de recouvrement.
  • Ce qui est proposé n’est qu’une simple expérimentation dans une dizaine de département, source de rupture de l’égalité des droits sur le territoire national (le niveau de l’ASF sera plus élevé dans les départements « pilotes »).

Je regrette donc que ma proposition de loi tendant à créer une agence dédiée au recouvrement des pensions alimentaires (que Nicolas Sarkozy avait reprise à son compte pendant la campagne électorale 2012) n’ait pas été sérieusement étudiée.

Je déplore également l’absence de réflexion sur la dimension internationale de l’égalité femmes/hommes (divorces internationaux – notamment quand la femme a cessé son activité professionnelle pour suivre son conjoint –, déplacements illicites d’enfants, lutte contre les mariages forcés…) alors même que j’avais transmis de nombreux éléments de réflexion en ce sens à la ministre dès son entrée en fonction.

J’espère enfin que ce projet de loi ne constitue pas un alibi pour détourner les regards d’autres mesures particulièrement pénalisantes pour les femmes, comme l’annonce d’une diminution drastique du budget de l’aide juridictionnelle dans la loi de finances 2014.

→ Lire ma tribune sur les pensions alimentaires publiée par le Huffington Post et un article du Monde sur les insuffisances du projet de loi en la matière

→ Voir mon article sur la lutte contre les mariages précoces ou forcés rédigé pour l’ONG Plan France

→ Consulter le texte du projet de loi et l’avis rendu par le HCEFH

→ Voir mes interventions lors de l’examen de la proposition de loi par la délégation aux droits des femmes du Sénat