Déc 17 2012

Nobelliser Malala pour donner un élan décisif à l’éducation des jeunes filles

La remise du Prix Nobel de la Paix 2012 à l’Union européenne, le 10 décembre, aurait pu être l’occasion pour François Hollande d’annoncer le soutien de la France à une nomination de la jeune Malala Yousafzai au prochain Prix Nobel de Paix. Occasion manquée, malgré ma proposition qu’il soit porteur de l’appel en ce sens déjà cosigné par 150 parlementaires français, de toutes sensibilités politiques et malgré l’effet positif qu’aurait eu une telle annonce chez nos partenaires étrangers, qui nous accusent souvent –pas toujours à tort !- d’arrogance et d’ethnocentrisme.

Si Malala mérite le Prix Nobel de la Paix, au même titre que Martin Luther King en son temps, c’est parce que son combat dépasse largement les frontières de la vallée du Swat et du Pakistan. En quelques années seulement, et malgré son jeune âge, elle est devenue l’icône de la lutte contre la ségrégation du XXIe siècle : celle exercée à l’encontre des jeunes filles. Un fléau qui ne concerne pas seulement les zones gangrénées par les talibans et qui demeure trop souvent passé sous silence.

Malala lutte avec courage pour la scolarisation des fillettes et des adolescentes. Dans le monde, 75 millions de filles n’ont pas accès à une éducation minimale (école primaire et premier cycle du secondaire) et une sur trois n’a pas accès à l’enseignement secondaire. Outre une injustice sociale, c’est un véritable gâchis économique : le retard de scolarisation des filles par rapport aux garçons dans les pays les plus pauvres représente un coût de 92 milliards de dollars – quasiment l’équivalent de l’ensemble de l’aide publique au développement mondiale !

L’ONU a tenté de sensibiliser l’opinion publique mondiale à l’urgence de la situation en décidant l’an dernier de faire du 11 octobre la Journée internationale des filles. Mais il faut aller au-delà des simples déclarations d’intention et prendre des mesures concrètes. Le lancement par l’UNESCO et le Pakistan d’un « Fonds Malala » pour l’éducation des filles est un premier pas encourageant.

Reste à voir comment la France entendra concrétiser son engagement. A l’occasion de la visite officielle du Président pakistanais, Jean-Marc Ayrault s’est contenté de dire sa « révolte » contre le fait « qu’une jeune fille puisse être empêchée d’accéder à l’école »… et a osé un autosatisfecit (« Nous avons eu raison de faire de l’éducation des enfants, et en particulier des filles, un objectif prioritaire de l’aide au développement »)… alors même que le projet de budget de l’Etat 2013 est très loin de faire de l’éducation des jeunes femmes un axe significatif de notre aide publique au développement.

L’an dernier déjà, lors du débat parlementaire sur le budget de l’Etat puis par une question écrite, j’avais attiré l’attention du gouvernement quant à la nécessité d’une meilleure prise en compte du genre dans l’aide publique au développement (APD). Cette année, le rejet par le Sénat du projet de loi de finances ne m’a pas permis d’approfondir cette argumentation, mais je continue à défendre auprès des ministres concernés une meilleure prise en compte dans le budget de l’aide publique au développement des question de genre et, en particulier, de l’accès des jeunes filles à une véritable éducation.

Cela passerait, bien sûr, par un fléchage des financements vers des programmes leur bénéficiant (aujourd’hui quasiment inexistants). Mais l’enjeu est aussi – et surtout – de revoir le pilotage de notre aide publique au développement pour y inclure la dimension de genre. Le ministère prétend que « de façon générale, 40% de l’APD française place les inégalités de genre comme objectif principal ou secondaire de son action ». Une affirmation floue et invérifiable, qui tient davantage de l’effet d’affichage que de la planification stratégique. A l’échelle internationale (OCDE notamment), des outils de « budgétisation sensible au genre » ont pourtant été développés pour améliorer ce suivi. Certains partenaires européens, comme l’Autriche, les ont déjà adoptés. La France aurait tout à gagner à leur emprunter le pas.

Concrètement, cela pourrait se traduire par l’intégration du genre dans la matrice des indicateurs de suivi de l’aide bilatérale et dans celle des indicateurs de performance de l’aide publique au développement. Il serait aussi essentiel que le gouvernement soutienne des actions de formation aux questions de genre auprès de tous les professionnels concernés, tant dans les ministères et à l’AFD, que parmi les ONG françaises et leurs partenaires sur le terrain.

Les réticences et sourires narquois de nombre de mes collègues masculins à chaque fois que j’aborde le sujet « femmes et développement » à la commission des affaires étrangères, à la délégation des droits des femmes ou dans l’hémicycle du Sénat, montrent bien à quel point les mentalités ont encore besoin d’évoluer sur ce sujet. Un Prix Nobel à Malala y contribuerait sans doute décisivement !

→ Lire l’appel en faveur de Malala cosigné par 150 parlementaires français

→ Voir l’article de l’Express, celui du Bulletin Quotidien et la dépêche de l’AFP

→ Voir mes courriers à Pascal Canfin et à Najat Vallaud-Belkacem

→ Visionner mon interview sur Public Sénat le 11 octobre dernier, à l’occasion de la première Journée internationale des filles, dans lequel je suggérais notamment la nomination de Malala au Prix Nobel de la Paix