Nov 16 2015

« Battue » par les flots, mais ne sombre pas… Fluctuat nec mergitur

paris-fluctuat-nec-mergiturBattue par les flots mais ne sombrant pas, telle est notre capitale, telle est notre nation. Mais comment éviter le naufrage ? Où arrimer notre force de résilience ?

Face à la pire tuerie terroriste ayant jamais endeuillé la France, comment réagir ? Face à des fanatiques sans pitié ni envers les autres ni envers eux-mêmes, comment protéger notre peuple, notre jeunesse ? Comment stopper cette folie qui ensanglante le monde, avec en l’espace de quelques jours seulement d’autres terribles attentats à Beyrouth et dans le Sinaï ? Dix mois après Charlie Hebdo, si la France est une nouvelle fois tragiquement au centre de l’actualité mondiale, nous ne devons pas oublier tous ces civils qui périssent de par le monde, emportés par la barbarie djihadiste.

Une nouvelle fois, les interrogations lancinantes sur les moyens donnés à notre dispositif de renseignement. La DGSI, la PJ et les magistrats antiterroristes sont débordés. Oui, il faut renforcer leurs effectifs. Mais ne jamais croire que cela suffira. Installer des fouilles systématiques dans tous les lieux publics est faisable… mais n’empêchera jamais un tueur fou de décimer la terrasse d’un café. Masser l’armée et la police dans les rues est peut-être rassurant mais l’opération Sentinelle déployée après le 11 janvier n’a pas empêché la survenue d’attentats coordonnés massifs. Les nouvelles techniques de surveillance intrusives récemment légalisées n’ont pas permis de détecter le pire qui se préparait. Officiellement, 4 000 individus sont surveillés (sans compter leurs proches) pour radicalisation ou terrorisme, nécessitant pour chacun d’entre eux la mobilisation d’une vingtaine de fonctionnaires. Notre système arrive à saturation. Le juge Trevidic a depuis plusieurs mois alerté sur son « indigence » et j’avais souligné ce manque de moyens dès octobre 2014, à l’occasion du débat sur le projet de loi sur la lutte contre le terrorisme.

Alors oui, des mesures techniques existent, et j’en ai énuméré certaines dans un récent rapport sur le terrorisme réalisé pour l’assemblée parlementaire de l’OTAN et dans une communication sur la coopération policière européenne ayant abouti au vote d’un projet de résolution européenne par le Sénat au printemps dernier. Une meilleure coopération des services de renseignements est notamment indispensable, comme commencent à le montrer les ramifications belges des attentats de Paris. Il est évidemment urgent de renforcer la coopération à l’échelle européenne (surveillance des déplacements, contrôles aux frontières, suivi des activités extrémistes sur Internet, lutte contre le trafic des armes et les transferts d’argent illicites…), mais il faut aussi l’étendre à d’autres Etats membres de l’OTAN, et en particulier la Turquie, en position stratégique entre les territoires contrôlés par Daech et nous. J’avais également souligné la nécessité d’une meilleure coopération avec les Etats-Unis en matière d’enquête judiciaire, lors du débat sur la ratification d’un accord bilatéral en ce sens.

Mais ces indispensables efforts ne sauraient tenir lieu de solution. Elles ne sont qu’une frêle digue face à la tempête fanatique qui enfle. Notre seul espoir réside dans la déradicalisation, pour prévenir le terrorisme endogène. C’est un travail de longue haleine que nous n’avons que trop tardé à enclencher, contrairement à d’autres pays.

En ce sens, la rhétorique martiale de notre président ou de notre premier ministre est contre-productive, ne faisant qu’attiser les motivations de ceux qui espèrent mettre la France à feu et à sang. Nous devons refuser l’importation de la guerre sur notre sol. Ne laissons pas les prophéties de fous de Daech devenir auto-réalisatrice. Ne nous laissons pas contraindre à la peur et à la haine.

Parallèlement, nos non-choix en politique étrangère ne peuvent que nous nuire. J’ai de longue date demandé une saisine de la Cour Pénale Internationale contre Daech et, faute de réponse satisfaisante du gouvernement français, écrit à Ban Ki-moon en ce sens. Quelques bombardements ou des livraisons d’armes à des « rebelles » syriens anti Bachar-Al-Assad mais islamistes ne peuvent tenir lieu de politique moyen-orientale. Lutter contre Daech nécessite l’envoi au sol d’une véritable force d’interposition internationale, comme je le réclame, à travers le lancement d’un appel parlementaire et mon intervention dans le débat sur l’intervention en Irak. Cela nécessite aussi de rétablir un dialogue stratégique avec des régimes que le gouvernement s’évertue à clouer au pilori depuis des mois. Si je ne peux que me réjouir des revirements du gouvernement sur la Syrie et la Russie, je ne peux que déploré le temps perdu, ayant prôné une meilleure association de ces acteurs essentiels depuis 2013.

En septembre, j’écrivais dans le Huffington Post : « Les non-dits de la politique française vis-à-vis des gouvernements syrien et russe, de même que sa crispation sur des postures artificielles inadaptées, condamnent François Hollande à une stratégie hasardeuse au Moyen-Orient, avec le risque de terribles répercussions tant pour les millions de civils qui y vivent que pour les sociétés d’Europe confrontées à la double crise des réfugiés et du terrorisme.« 

Face à l’ouragan qui s’annonce, nous devons rassembler toutes nos ressources matérielles et spirituelles pour nous maintenir à flots.

→ Voir mes rapports sur le terrorisme de 2014 et de 2015 pour l’Assemblée parlementaire de l’OTAN
Lire mon intervention en commission, le 7 octobre, sur la réévaluation des relations avec la Russie
Voir mon interview sur France 24